Nous faisons suite à notre article de l’an dernier sur la compétence internationale de la JUB La compétence de la Juridction unifiée du brevet (JUB).
Cet article expliquait que, au vu de l’Accord sur la JUB et du Règlement Bruxelles I bis, la JUB peut être compétente pour traiter un litige relatif à une contrefaçon de brevet européen commise dans un État qui n’est pas un État Membre Contractant (pour rappel il y a actuellement 18 États Membres Contractants de l’Accord sur la JUB : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, la France, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie, la Suède).
Décision de la division locale de Düsseldorf
Cela est désormais confirmé par une décision rendue le 28 janvier 2025 par la Division Locale de Düsseldorf.
Cette décision (UPC_CFI_355/2023) a été rendue dans le cadre d’un litige opposant Fujifilm Corporation (le demandeur), domicilié au Japon, et trois entités de Kodak (les défendeurs), toutes domiciliés en Allemagne.
Le demandeur reprochait aux défendeurs de contrefaire son brevet européen EP 3 954 009 B1 qui a été validé en Allemagne et au Royaume-Uni.
Arguments des défendeurs
Les défendeurs ont déposé devant la JUB une demande reconventionnelle en nullité de la partie allemande du brevet européen, ainsi qu’une objection préliminaire soutenant que la JUB ne disposait pas de la compétence internationale pour traiter une affaire de contrefaçon au Royaume-Uni.
Les défendeurs ont notamment invoqué l’article 24(4) du Règlement Bruxelles I bis qui stipule que la compétence pour statuer sur la validité d’un brevet européen pour un État membre appartient exclusivement aux juridictions de cet État membre.
Position de la JUB sur sa compétence
La JUB se considère toutefois compétente pour traiter de la contrefaçon au Royaume-Uni, et ce même si une demande reconventionnelle en nullité de la partie allemande du brevet européen est pendante et si la validité de la partie britannique du brevet européen est contestée par voie d’exception.
Fondement juridique invoqué par la JUB
La décision explique que la compétence internationale des tribunaux de l'État membre dans lequel le défendeur est domicilié en vertu de l'article 4(1) du Règlement Bruxelles I bis est « universelle ». Elle peut donc s'étendre à la contrefaçon du brevet européen commise dans tous les États pour lesquels il a été délivré. Cette disposition permet au titulaire d’un brevet européen de porter toutes ses demandes en contrefaçon devant une seule juridiction et d'obtenir une réparation globale auprès d'une seule instance. Si le contrefacteur présumé soulève une exception de nullité de parties nationales du brevet validées pour des États différents de celui de la juridiction saisie, cette dernière ne perd pas sa compétence pour connaître de l'action.
Règlement Bruxelles I bis et Accord sur la JUB
L'article 31 de l'Accord sur la JUB stipule que la compétence internationale de la JUB est déterminée conformément au Règlement Bruxelles I bis. Les articles 71bis à 71quinquies du Règlement Bruxelles I bis régissent cette détermination en incorporant la JUB en tant que « juridiction commune » dans le système existant du Règlement Bruxelles I bis. L'article 71bis stipule notamment que la JUB, en tant que juridiction commune, est réputée être une juridiction d'un État membre pour traiter des litiges en matière de brevets européens. L'article 71ter(1) stipule que la JUB est compétente lorsque, en vertu du règlement Bruxelles I bis, la juridiction nationale d'un État membre serait compétente. Cela signifie que, en ce qui concerne des demandes contre des défendeurs domiciliés dans un État membre, toutes les bases de compétence contenues dans le règlement Bruxelles I bis s'appliquent également à la JUB, et il en va de même pour la jurisprudence applicable de la CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne).
Lien avec l'affaire BSH vs. Electrolux
Il convient de noter que, pour rendre cette décision, la Division Locale de Düsseldorf a attendu l’opinion de l’avocat général assigné au cas BSH v. Electrolux (C-339/22) pour lequel une décision de la CJUE a été rendue le 25 février 2025.
Contexte de l’affaire BSH v. Electrolux
Dans ce litige BSH v. Electrolux, la CJUE a été saisie pour déterminer si une juridiction suédoise était compétente pour statuer sur la contrefaçon d’un brevet européen validé dans d’autres pays que la Suède, dont certains situés en dehors de l’UE, notamment la Turquie.
Elektrolux contestait en effet la validité des différentes parties nationales du brevet européen, et faisait valoir qu’une juridiction suédoise ne pouvait pas être compétente pour statuer sur la contrefaçon d’un brevet européen validé dans d’autres pays que la Suède, notamment en vertu de l’article 24(4) du Règlement Bruxelles I bis.
Position de la CJUE sur la compétence
Cette décision de la CJUE explique qu'une exception de validité invoquée en vertu de l'article 24(4) du règlement Bruxelles 1 bis, ne signifie pas que la juridiction saisie pour la contrefaçon perd sa compétence, même si les juridictions d'autres États membres ont une compétence exclusive pour statuer sur cette validité dans leur pays respectif.
Si la juridiction compétente en matière de contrefaçon estime qu'il existe une possibilité raisonnable et non négligeable que le brevet soit déclaré invalide par la juridiction d’un autre État membre, elle peut, le cas échéant, suspendre la procédure en ce qui concerne ces pays.
États tiers et effet inter partes
La décision explique également que l'article 24(4) du règlement Bruxelles 1 bis ne s'applique pas à une juridiction d'un État tiers (c’est-à-dire un État qui n’est pas un État membre de l’UE). Par conséquent, cette disposition ne confère aucune compétence à une juridiction d’un État tiers pour apprécier la validité de la partie nationale d'un brevet européen dans cet État tiers.
Par conséquent, si une juridiction d'un État membre est saisie en tant que juridiction du domicile du défendeur, sur la base de l'article 4(1) du règlement Bruxelles I bis, pour une action en contrefaçon d'un brevet délivré ou validé dans un État tiers, et que la question de la validité de ce brevet est soulevée comme moyen de défense, cette juridiction est compétente, en vertu de l'article 4(1), pour statuer sur ce moyen de défense (sauf limitations imposées par d'autres conventions internationales ou bilatérales). La décision n’aura toutefois qu’un effet inter partes et ne sera donc pas de nature à affecter l'existence ou le contenu de ce brevet dans cet État tiers.
En vertu de l’article 31 de l’Accord sur la JUB et des articles 71bis et 71ter(1) du Règlement Bruxelles I bis, les explications fournies par cette décision de la CJUE s’appliquent également à la JUB.
Conclusion : confirmation de la compétence internationale de la JUB
En conclusion, ces deux décisions confirment que la JUB peut être compétente pour traiter une affaire de contrefaçon pour un État partie à la CBE (Convention sur le Brevet Européen) qui n’est pas un État Membre Contractant de l’Accord sur la JUB (par exemple l’Espagne), ni même un État de l’Union Européenne (par exemple le Royaume-Uni ou la Turquie).
Par Yann FOUASSIER