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L’étendue de la compétence internationale de la JUB est souvent mal comprise. Il est par exemple parfois considéré que la JUB ne peut pas traiter un litige relatif à une contrefaçon de brevet dans un État qui n’est pas un État contractant de l’Accord sur la JUB (par exemple une contrefaçon en Espagne, en Suisse ou en Turquie). Nous allons voir par la suite que cette interprétation n’est pas toujours correcte.


Rappels sur le brevet unitaire et la Juridiction unifiée du brevet :

Le brevet européen à effet unitaire est basé sur le brevet européen délivré par l'Office européen des brevets (OEB) conformément aux dispositions de la Convention sur le brevet européen (CBE). Une fois le brevet européen délivré, le titulaire peut demander pour son brevet un effet unitaire lui assurant une protection uniforme dans les États de l'UE qui participent à la coopération renforcée sur le système du brevet unitaire et qui ont déjà ratifié l’Accord sur la Juridction unifiée du brevet (AJUB). A ce jour cela concerne les 18 États contractants suivants : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, la France, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie, la Suède. Le brevet européen peut en outre être validé dans les autres États de la CBE (il y a à ce jour 39 États membres de la CBE).
La Juridiction unifiée du brevet (JUB) est compétente pour traiter les litiges en matière de contrefaçon et de révocation concernant les brevets unitaires ainsi que les brevets européens classiques (sans effet unitaire).
Pendant une période transitoire courant au moins jusqu’au 1er juin 2030, les litiges en matière de contrefaçon et de révocation concernant les brevets européens classiques peuvent toutefois encore être engagés devant les juridictions nationales des États contractants de l’AJUB (article 83 de l’AJUB).
Après cette période transitoire, les juridictions nationales des États de la CBE qui ne sont pas des États contractants de l’AJUB continueront à être compétentes pour les litiges concernant les validations nationales de brevets européens.
Ainsi, il n'existe pas de juridiction européenne unique pour traiter les litiges en matière de contrefaçon et de révocation de brevets européens validés dans les États de la CBE. Il arrive souvent que chaque partie nationale d'un brevet européen fasse l'objet d'une procédure distincte.
L’étendue de la compétence internationale de la JUB est souvent mal comprise. En particulier, il est souvent considéré, à tort, que la JUB ne peut pas traiter un litige concernant des actes de contrefaçon commis dans un État qui n’est pas un État contractant de l’AJUB.

 

Le cadre légal pour déterminer la compétence internationale :

Dans l'Union Européenne (UE), les règles régissant la compétence internationale en matière civile et commerciale sont régies par le règlement (UE) n° 1215/2012, également appelé règlement Bruxelles I bis.
Dans le contexte du système du brevet unitaire, des dispositions spécifiques pour la JUB ont été ajoutées à ce règlement (articles 71bis à 71quinquies du règlement (UE) n° 542/2014).
La compétence internationale de la JUB est notamment régie par le règlement Bruxelles I bis :

Article 31 de l'AJUB :
La compétence internationale de la Juridiction est établie conformément au règlement (UE) n° 1215/2012 […]

Conformément à l’article 1 de l’AJUB et aux articles 71bis et 71ter(1) du règlement Bruxelles I bis, la JUB a une compétence internationale pour le règlement des litiges liés aux brevets européens classiques et aux brevets européens à effet unitaire. La JUB agit comme une juridiction de chacun de ses État contractants.

 Article 1 de l'AJUB :
Il est institué par le présent accord une juridiction unifiée du brevet pour le règlement des litiges liés aux brevets européens et aux brevets européens à effet unitaire.
La juridiction unifiée du brevet est une juridiction commune aux États membres contractants et est donc soumise aux mêmes obligations en vertu du droit de l'Union que celles qui incombent à toute juridiction nationale des États membres contractants.

Article 71bis du règlement Bruxelles I bis :
1. Aux fins du présent règlement, une juridiction commune à plusieurs États membres, comme précisé au paragraphe 2 (ci-après dénommée « juridiction commune »), est réputée être une juridiction d’un État membre lorsque, en vertu de l’instrument l’instituant, cette juridiction commune exerce sa compétence dans des matières relevant du champ d’application du présent règlement.
2. Aux fins du présent règlement, chacune des juridictions suivantes constitue une juridiction commune :
a) la juridiction unifiée du brevet […]

Article 71ter(1) du règlement Bruxelles I bis :
La juridiction commune est compétente lorsque, en vertu du présent règlement, les juridictions d’un État membre partie à l’instrument instituant la juridiction commune seraient compétentes dans une matière régie par cet instrument.

La matière en laquelle la JUB est compétente est limitée par les articles 1, 3 et 32 de l’AJUB. Notamment, la JUB est compétente en matière de contrefaçon et de validité de brevets européens classiques, de brevets européens à effet unitaire, de certificats complémentaires de protection (CCP) délivrés pour des produits protégés par de tels brevets, et de demandes de brevets européens. A contrario, la JUB n’est pas compétente par exemple en matière de contrefaçon de brevets nationaux.

Si le défendeur est domicilié dans un État de l’UE, la compétence internationale est déterminée conformément au chapitre II du règlement Bruxelles I bis.

Défendeur saisi dans son lieu de domicile :

En particulier, l’article 4(1) du règlement Bruxelles I bis stipule que les personnes domiciliées dans un État de l'UE peuvent être poursuivies devant les tribunaux de cet État. Pour les personnes domiciliées dans un État contractant de l’AJUB, les article 4(1) et 71ter(1) stipulent que la JUB est compétente. Les personnes domiciliées dans un État de l'UE qui n'est pas un État contractant de l'AJUB (par exemple l’Espagne, la Hongrie, ou la Pologne) peuvent être poursuivies devant les tribunaux de leur État respectif.

Article 4(1) du règlement Bruxelles I bis :
Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

La compétence prévue à l'article 4(1) du règlement Bruxelles I bis est générale. Cela signifie qu’un tribunal du pays du domicile du défendeur peut traiter des litiges relatifs à des contrefaçons de brevet dans tous les pays et peut accorder des dommages-intérêts et/ou des injonctions préliminaires pour ces pays. Il en va de même pour la JUB lorsqu’elle agit en tant que juridiction commune pour le pays du domicile du défendeur.

Exemple 1 : une société A titulaire d'un brevet européen validé dans tous les États de la CBE peut saisir devant la JUB une société F française pour des actes de contrefaçon du brevet commis dans des États de la CBE (et pas seulement pour des actes de contrefaçon commis dans des États contractants de l'AJUB), par exemple en Espagne, en Suisse ou en Turquie. Dans cet exemple, la JUB agit en tant que juridiction commune pour la France (pays du siège de la société F).

Défendeur saisi dans le lieu du fait dommageable :
L’article 7(2) du règlement Bruxelles I bis stipule que les tribunaux d’un État de l’UE dans lequel un acte de contrefaçon (fait dommageable) s'est produit sont également compétents.

Article 7(2) du règlement Bruxelles I bis :
Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre : […] en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

Toutefois, les tribunaux du lieu où le dommage survient ne sont compétentes que pour le préjudice causé dans cet État (« approche mosaïque »).


Exemple 2 : une société A titulaire d'un brevet européen validé dans tous les États de la CBE peut saisir devant la JUB une société E espagnole pour des actes de contrefaçon du brevet commis dans des États contractants de l’AJUB (États ou un fait dommageable s’est produit). Dans cet exemple, la JUB ne pourrait pas toutefois juger des actes de contrefaçon commis dans des États qui ne sont pas des États contractants de l’AJUB (par exemple en Espagne, en Suisse ou en Turquie). Conformément à l’article 4(1) du règlement Bruxelles I bis, un tribunal espagnol (tribunal du pays du siège de la société E) pourrait en revanche accorder des dommages-intérêts pour tous les États de la CBE dans laquelle une contrefaçon s’est produite.


Compétence exclusive pour la validité du brevet :
L’article 24(4) du règlement Bruxelles I bis stipule que chaque État de l’UE a une compétence exclusive pour déterminer la validité d'un brevet européen délivré pour son État. Cet article s'applique aussi lorsque la validité du brevet est soulevée comme demande reconventionnelle dans une procédure en contrefaçon.

Article 24(4) du règlement Bruxelles I bis :
Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties : […]
4) en matière d’inscription ou de validité des brevets, […] que la question soit soulevée par voie d’action ou d’exception, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument de l’Union ou d’une convention internationale

Ainsi, dans l’Exemple 1 ci-dessus, si la société F soutient que le brevet n'est pas valable, elle peut introduire une demande reconventionnelle en nullité devant la JUB pour les États contractants de l’AJUB. Cependant, F ne peut pas introduire de demande reconventionnelle en nullité devant la JUB pour les autres États (par exemple pour l’Espagne). Si E démarre une action en nullité de la partie espagnole du brevet européen devant un tribunal espagnol, la JUB devrait suspendre l’action en contrefaçon concernant l’Espagne jusqu'à ce que le tribunal espagnol ait rendu une décision finale sur la validité de la partie espagnole du brevet européen.

Mesures provisoires et conservatoires (dont injonctions préliminaires) :
Conformément aux articles 35 et 71ter(2) du règlement Bruxelles I bis, des mesures provisoires peuvent être accordées par une juridiction d’un État de l’UE (y compris la JUB) même si celle-ci n'est pas compétente pour connaître du fond de l'affaire.
Article 35 du règlement Bruxelles I bis :
Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond.

Article 71ter(2) du règlement Bruxelles I bis :
Des mesures provisoires, y compris conservatoires, peuvent être demandées à une juridiction commune même si les juridictions d’un État tiers sont compétentes pour connaître du fond.

En particulier, la JUB peut accorder des mesures provisoires en vertu de l'art. 62 de l'AJUB (par exemple une injonction de cesser des actes de contrefaçon présumés), même en ce qui concerne des actes de contrefaçon commis dans des États qui ne sont pas contractants de l’AJUB (et pour lesquels le défendeur pourrait introduire une demande reconventionnelle en nullité dans le cadre de la procédure au fond).

Ainsi, dans l’Exemple 1 ci-dessus, la JUB pourrait accorder une injonction préliminaire en ce qui concerne les actes de contrefaçon commis en Espagne, en Suisse ou en Turquie.


Lorsque le défendeur n’est pas domicilié dans un État de l’UE :
On peut noter que le règlement Bruxelles I bis confère aussi à la JUB une compétence à l’égard d’un défendeur qui n’est pas domicilié dans un État de l’UE. Cela peut être le cas pour des actes de contrefaçon commis dans des États contractants de l’AJUB (article 71ter(2)) ou, sous certaines conditions, pour accorder des dommages-intérêts découlant de la contrefaçon d'un brevet européen dans des États en dehors de l'UE (article 71ter(3)).
Article 71ter(2) du règlement Bruxelles I bis :
Lorsque le défendeur n’est pas domicilié dans un État membre, et que le présent règlement ne confère pas autrement de compétence à son égard, le chapitre II s’applique, le cas échéant, indépendamment du domicile du défendeur
Article 71ter(3) du règlement Bruxelles I bis :
Lorsqu’une juridiction commune est compétente à l’égard d’un défendeur au titre du point 2) dans un litige relatif à une contrefaçon de brevet européen ayant entraîné des préjudices à l’intérieur de l’Union, cette juridiction peut également exercer sa compétence à l’égard des préjudices entraînés par cette contrefaçon à l’extérieur de l’Union.
Cette compétence ne peut être établie que si les biens appartenant au défendeur sont situés dans un État membre partie à l’instrument instituant la juridiction commune et si le litige a un lien suffisant avec un tel État membre.

 

Conclusion :
Les exemples évoqués ci-avant démontrent que la compétence internationale de la JUB peut s’étendre au-delà des territoires des États contractants de l’AJUB.
Santarelli Group se tient à votre disposition pour vous conseiller dans vos stratégies de validation de vos brevets européens, ainsi que dans les litiges qui s’y rapportent.

 

Source : The jurisdiction of European courts in patent disputes – European Patent Academy

Par Yann FOUASSIER

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