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Dans sa décision du 2 juillet 2025 (G1/23), la Grande Chambre de recours s’est prononcée sur une question d’importance fondamentale en droit des brevets : un produit mis sur le marché doit-il nécessairement être reproductible par l’homme du métier pour pouvoir être considéré comme appartenant à l’état de la technique, et donc opposable à la brevetabilité d’une invention ?

Le contexte de l’affaire

La saisine de la Grande Chambre de recours trouve son origine dans l’affaire T0438/19 relative au brevet EP 2 626 911, opposant Borealis AG (opposant) à Mitsui Chemicals (titulaire), au sujet d’un matériau d’encapsulation pour cellules photovoltaïques à base de copolymère (éthylène/α-oléfine) caractérisé notamment par une faible teneur en aluminium et une meilleure stabilité thermique, destiné à améliorer la durabilité et l’efficacité des modules solaires.

Borealis arguait qu’un produit dénommé ENGAGE® 8400, disponible sur le marché avant la date de dépôt du brevet, rendait l’invention de Mitsui Chemicals dépourvue de caractère inventif.  

En l’espèce, le produit ENGAGE® 8400 reprenait toutes les caractéristiques de la revendication indépendante 1 du brevet en cause, à l’exception de la plage de teneur en aluminium. De plus, ce produit était mentionné dans une demande de brevet antérieure, dans laquelle il était suggéré pour l’encapsulation de piles solaires, et des documents techniques décrivaient le procédé de préparation du polymère ENGAGE®, sans détailler spécifiquement la version 8400.

En réponse, Mitsui Chemicals soutenait que le produit ENGAGE® 8400 ne faisait pas partie de l’état de la technique car sa composition exacte ne pouvait pas être reproduite sans charge excessive pour l’homme du métier.

Cette ligne de défense se fondait notamment sur une interprétation issue d’une décision datant de 1992, G 1/92, où l'« exigence de reproductibilité » en question était formulée comme suit : « La composition chimique d'un produit est considérée comme faisant partie de l'état de la technique lorsque le produit en tant que tel est accessible au public et peut être analysé et reproduit par l'homme du métier […] » (Point 1.4 de la décision G1/92, soulignement ajouté).

 

 

Une divergence jurisprudentielle d’interprétation de la décision G1/92

Depuis la décision G 1/92, la jurisprudence a oscillé entre plusieurs lignes d’interprétation. Certaines décisions (T 206/83, T 2068/15) ont exigé que le produit soit à la fois analysable et reproductible pour relever de l’état de la technique. D’autres, en revanche, (T 952/92) ont considéré que la simple mise à disposition du public suffisait. A côté de cette divergence, certaines chambres (T 946/04, T 1666/16) ont considéré que seule la composition chimique du produit était exclue de l’état de la technique, tandis que d’autres (T 370/02, T 2045/09, T 1833/14, T 23/11) ont étendu l’exclusion à l’ensemble du produit (y compris sa composition ou sa structure interne) si ses caractéristiques techniques n’étaient pas accessibles.

Face à ces divergences et à cette insécurité juridique, la Grande Chambre a été saisie pour répondre notamment aux questions suivantes :

 « 1. Un produit mis sur le marché avant la date de dépôt d'une demande de brevet européen doit-il être exclu de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE au seul motif que sa composition ou sa structure interne ne pouvait pas être analysée et reproduite sans difficulté excessive par l'homme du métier avant cette date ?

  1. Les informations techniques relatives audit produit qui ont été rendues publiques avant la date de dépôt (par exemple par la publication d'une brochure technique, d'une documentation non brevetée ou brevetée) constituent-elles l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, indépendamment du fait que la composition ou la structure interne du produit pouvait être analysée et reproduite sans effort excessif par l'homme du métier avant cette date ? »

 

La position de la Grande Chambre

A la question 1, la Grande Chambre de recours a tranché : la simple mise sur le marché d’un produit, même si celui-ci est non reproductible, suffit à l’intégrer dans l’état de la technique dès lors qu’il est accessible au public. Il en va de même pour les informations techniques le concernant, rendues accessibles avant la date de dépôt, indépendamment de la possibilité pour l’homme du métier d’en analyser ou reproduire la composition ou la structure interne. (Question 2).

Par cette décision, la Grande Chambre met fin aux lectures restrictives de G 1/92, en précisant que celle-ci ne subordonne pas l’état de la technique à la reproductibilité du produit.

La décision G 1/92 reste applicable, mais doit être interprétée comme portant sur l’enseignement technique qu’on peut tirer d’un produit mis sur le marché, et non comme posant une exigence de reproductibilité pour que ce produit entre dans l’état de la technique.

 

La question de la « charge excessive »

La Grande Chambre évite volontairement de se prononcer sur la question de savoir si une analyse nécessitant une charge excessive exclurait certaines propriétés du produit de l’état de la technique. Elle estime que cette question n’était pas décisive pour trancher le cas d’espèce, et la laisse ouverte. (Point 2.5.1)

 

Accessibilité publique vs. preuve effective : un décalage à anticiper

Dans sa décision G1/23, la Grande Chambre a précisé qu’un produit non reproductible fait partie de l’état de la technique dès lors qu’il a été rendu accessible au public, y compris de manière temporaire. Son retrait ultérieur du marché ou sa modification n’altère pas ce statut, bien que cela puisse compliquer l’établissement de la preuve (Point 2.6.1). Ces difficultés relèvent d’une problématique de preuve factuelle, sans remettre en cause la qualification juridique de divulgation accessible au public.

 

Conséquences pratiques : anticiper et prévenir les risques d’antériorité

La décision G 1/23 a des répercussions importantes pour les déposants. Elle établit clairement qu’un produit mis sur le marché sans restriction (notamment sans mesures de confidentialité) devient immédiatement accessible au public et constitue de ce fait un état de la technique, susceptible de détruire la nouveauté ou l’activité inventive d’une demande de brevet ou d’un brevet délivré.

Cela signifie qu’un concurrent, un tiers ou même un examinateur pourra invoquer un produit mis sur le marché avant la date de dépôt d’une demande de brevet.

En pratique, il est donc crucial de :

  • Déposer avant toute commercialisation, y compris pour les produits complexes relevant par exemple du domaine de la chimie, des matériaux ou encore des biotechnologies.
  • Encadrer les divulgations préalables au dépôt d’une demande de brevet (échantillons, brochures remises lors de salons, tests), au moyen d’accords de confidentialité, afin d’éviter toute divulgation publique avant le dépôt.
  • Prendre en compte les produits concurrents comme sources potentielles d’antériorité lors de la préparation d’un dépôt.

 

Par Nawhel GUILLAUMEY

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