Face à l’évolution des modes de vie, des préoccupations de santé et de bien-être, ainsi qu’à une consommation plus modérée, notamment chez les jeunes, certaines propriétés viticoles ont saisi l’opportunité de se réinventer en diversifiant leur offre. Elles proposent désormais des vins sans alcool, répondant ainsi aux attentes de nouveaux publics : femmes enceintes, personnes de confession religieuse, ou simplement curieux en quête d’alternatives innovantes.
Classes 32 et 33 : vers une porosité entre boissons avec et sans alcool
C’est ainsi que depuis quelques mois, la multiplication des dépôts de marques dans la classe internationale dédiée à cette catégorie (classe 32) a été constatée et les Offices sont amenés à apprécier le risque de confusion entre les « vins » répertoriés en classe 33 et les « vins sans alcool » couverts par la classe 32 et ce au regard de cette tendance.
A titre illustratif, il sera cité la position adoptée par l’Office de l’Union Européenne des marques (l’EUIPO) statuant récemment sur ce point. En date du 19 mars 2025, CHATEAU CHEVAL BLANC, 1er Grand Cru Classé de Saint-Emilion (A) jusqu’à son retrait volontaire du classement en 2022, a usé de la procédure d’opposition afin de faire valoir ses droits contre la demande de marque CHEVAL GODET n° 18 990 356 désignant en classe 32 les « Bières, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques ; boissons de fruits et jus de fruits; sirops et autres préparations pour faire des boissons ».
CHATEAU CHEVAL BLANC a mené son action sur la base des produits suivants « Vins d'appellation d'origine protégée "Saint-Emilion" (AOP) provenant de l'exploitation exactement dénommée "Château Cheval Blanc", respectant les conditions d'utilisation de la mention traditionnelle "château" et le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée "Saint Emilion" (AOP) » relevant de la classe 33.
En premier lieu, la division d’opposition rappelle un principe général : la Classification internationale de Nice n’a qu’une valeur administrative de sorte que des similarités peuvent être établies entre des produits / services couverts dans des classes différentes comme en l’espèce.
Il est également de jurisprudence constante que dans le cadre de la comparaison des produits/services, doivent être pris en compte tous les facteurs pertinents et notamment leur nature et leur destination, leurs canaux de distribution, leurs points de vente, leur producteurs, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire.
Dans cette affaire, les examinateurs ont estimé que les « vins » en classe 33 désignés par la marque opposée étaient similaires aux « autres boissons non alcooliques » contestées en classe 32, qui comprennent les vins sans alcool.
La division d’opposition justifie cette appréciation en constatant la tendance croissante des entreprises viticoles à produire et proposer du vin sans alcool comme alternative au vin alcoolisé.
Elle considère donc que :
« Le vin sans alcool subit souvent le même processus de fermentation et de vieillissement que le vin alcoolisé, l’alcool étant simplement retiré aux dernières étapes (par distillation ou filtration). Il est destiné à être consommé dans les mêmes circonstances que le vin alcoolisé, par des consommateurs qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas consommer d’alcool. Étant perçus comme des produits alternatifs, ils doivent également être considérés comme concurrents. Il n'est pas rare que le vin sans alcool soit vendu dans des boutiques spécialisées ou dans des rayons dédiés au vin dans les supermarchés ».
La même conclusion a été tirée dans la décision de la grande chambre de recours en date du 13/04/2022, (R 964/2020-G, Zoraya / Viña zoraya) : une similitude a été constatée entre les « spiritueux » et les « spiritueux sans alcool » au motif que, dans le secteur des boissons, les consommateurs se voient de plus en plus offrir le choix entre des boissons qui contiennent ou non de l’alcool, mais qui présentent les mêmes caractéristiques.
La similitude entre des boissons alcoolisées spécifiques et des boissons non alcoolisées doit être appréciée au cas par cas.
A titre complémentaire, la division d’opposition confirme que les « bières » désignées en classe 32 par la demande contestée sont faiblement similaires aux « vins » relevant de la classe 33 par la marque opposée.
Si les bières et les vins résultent d’un processus de production distinct et proviennent traditionnellement d’entreprises différentes, ces différences n’excluent pas toute similarité entre ces produits. En effet, les bières et les vins répondent, dans une certaine mesure, au même besoin, à savoir être consommés comme boissons lors d’un repas ou en apéritif. De plus, ils peuvent être achetés ensemble, car il est désormais courant de trouver des bières et des vins à proximité dans les supermarchés et les épiceries, ainsi que de les voir répertoriés dans la section des menus de restaurants ou de bars dédiée aux boissons faiblement alcoolisées. Enfin, ils ciblent le même public, à savoir les consommateurs autorisés à consommer des boissons alcoolisées.
En revanche, les « eaux minérales et gazeuses » contestées et les « vins » sont différents. Le critère attaché à la nature de ces produits a prédominé à l’égard de cette comparaison. En effet, la division d’opposition a estimé que la présence ou l’absence d’alcool joue un rôle de différenciation pour le consommateur.
Enfin, « les boissons de fruits et jus de fruits; sirops et autres préparations pour faire des boissons » contestées et les « vins » sont jugés différents en ce qu’ils n'ont pas la même nature, la même destination ou la même utilisation et ils ne visent pas le même public concerné ou ne partagent pas les mêmes canaux de distribution. En outre, les produits comparés ne sont pas complémentaires, n'ont pas de caractère concurrent et ils ne sont généralement pas produits ou fournis par les mêmes entreprises.
En ce qui concerne la comparaison des signes, la division d’opposition a, sans surprise, estimé que le terme commun CHEVAL est distinctif au regard des produits couverts contrairement au terme « CHATEAU », qui est fréquemment utilisé en France dans le secteur vitivinicole pour désigner un domaine ou un vignoble . Quant au terme GODET présent au sein de la demande contestée, il n’a pas été de nature à écarter le risque de confusion en ce qu’il sera compris comme un « petit gobelet à boire, sans pied ni anse » et donc perçu comme une indication de l'outil utilisé pour consommer les produits concernés.
Dès lors, la division d’opposition a estimé qu’il existait un risque de confusion entre la marque antérieure opposée CHATEAU CHEVAL BLANC et la demande de marque CHEVAL GODET (sur le fondement de l’article 8§1 b du RMUE) et a rejeté à l’enregistrement de ce signe au regard des « bières et autres boissons non alcooliques – incluant le vin sans alcool», contestés en classe 32.
En l’absence d’appel auprès de la chambre de recours de l’Office par les Parties, la décision est devenue définitive. Cette appréciation apparaît tout de même en conformité avec les décisions rendues par les instances française et de l’Office de l’Union Européenne concernant la comparaison des produits et des signes.
Conclusion : prudence et accompagnement juridique
En conclusion, Il est fortement conseillé, avant tout dépôt, de procéder à des recherches d’antériorité dans les classes pouvant être jugées identiques et similaires avec votre projet et les juristes du Cabinet sont à votre disposition pour vous apporter les compléments d’information pour éviter les écueils.
Source : EUIPO - Château Cheval Blanc vs Brasserie Ceres Belgique du 19 mars 2025 – OPPOSITION N°B 3 218 170
Par Bérénice AUBERT