En mars 2023, la Grande Chambre de Recours de l’Office Européen des Brevets (OEB) proposait dans sa Décision G2/21 deux critères d’admissibilité des données post-dépôt dans les raisonnements d’activité inventive et de suffisance de description. Depuis lors, une trentaine de décisions ayant eu à admettre ou à écarter des données post-dépôt ont été prononcées. Nous présentons dans cet article les décisions qui présentent le plus d’intérêt pour comprendre comment les critères de G2/21 ont été appréciés par les Chambres de Recours en fonction des domaines techniques et des spécificités de chaque dossier.
Les données expérimentales sont cruciales pour démontrer l’activité inventive et la suffisance de description d’une invention, car elles prouvent à l’homme du métier - et aux examinateurs de brevet - que l’invention revendiquée représente bien une « solution technique à un problème technique », répondant ainsi simultanément à deux des quatre exigences principales de brevetabilité.
Différents critères d’admissibilité des données post-dépôt ont été utilisés dans le passé : certains étaient très défavorables au titulaire (la demande initiale devant contenir explicitement les informations justifiant le nouvel effet allégué et/ou la bonne résolution du problème technique), d’autres beaucoup moins (par exemple le critère d’« implausibilité ab initio » : si l’homme du métier, l’Examinateur ou le juge technique n’a pas de raison de douter que l’effet puisse être obtenu à la lecture de la demande, alors les données peuvent être acceptées, même si la demande ou l’art antérieur existant ne suggèrent pas cet effet). Enfin, certains examinateurs / juges techniques s’attachaient à déterminer s’il était « plausible », au vu de l’enseignement de la demande et des connaissances générales de l’homme du métier, que le nouvel effet technique allégué puisse être atteint par l’invention telle que revendiquée (critère de « plausibilité ab initio ») ; le cas échéant, les nouvelles données pouvaient être considérées.
En mars 2023, la Grande Chambre de Recours de l’OEB rendait sa Décision G2/21 visant à clarifier les conditions d’admissibilité des données post-dépôt dans les raisonnements d’activité inventive et de suffisance de description. Cette décision avait en particulier souligné que le point crucial à étudier est ce que l’homme du métier aurait compris de l’enseignement de l’ensemble de la demande en tenant compte de ses connaissances générales (points 71 et 72 de G2/21). La Grande Chambre avait également formulé un test pour apprécier l’admissibilité des données post-dépôt. Selon ce test, de telles données ne devraient être prises en compte dans les analyses de brevetabilité que si l’homme du métier, au vu de ses connaissances générales et du contenu de la demande telle que déposée, aurait considéré ledit effet comme étant « compris » (« encompassed ») dans l’enseignement technique de la demande telle que déposée (critère 1), et « faisant partie » (« embodied ») de l’invention telle qu’initialement décrite (critère 2) (point 94 de la décision telle que publiée en français). Ainsi, le premier critère nécessitait d’analyser l’ensemble des informations contenues dans la demande (y compris les passages ne décrivant pas l’invention), tandis que le second se focalisait plus précisément sur l’invention initialement décrite (souvent l’invention telle que revendiquée).
Présentés comme incontournables pour décider de l’admissibilité de documents post-dépôt, ces deux critères nécessitaient cependant des précisions. Par exemple, la date pertinente des « connaissances générales » auxquelles l’homme du métier peut se fier n’était pas précisée dans la Décision G2/21. En outre, il n’y était pas indiqué si l’enseignement technique de la demande devait être perçu de manière stricte (i.e., limité aux résultats et déclarations littéralement fournis dans la demande), ou s’il était possible de le généraliser, et dans quelle mesure. Enfin, le terme crucial « embodied » choisi par la Grande Chambre nous semblait abscons (ce terme, traduit par « incarné » et « faisant partie » dans G2/21, devient « mis-en-œuvre » dans certaines décisions). La Grande Chambre elle-même qualifie ces concepts d’« abstraits » et indique finalement que l’interprétation de ces critères « pourra bien, dans une certaine mesure, être influencée par le domaine technique de l’invention revendiquée » et par « les circonstances de chaque affaire » (point 95 de G2/21).
T116/18
Ces précisions ont été fournies par la Chambre de Recours 3.3.02 dans la décision T116/18 clôturant l’affaire ayant conduit aux questions préjudicielles posées à la Grande Chambre de Recours et donc à la Décision G2/21.
Dans son avis rendu le 28 juillet 2023, la Chambre de Recours 3.3.02 a clarifié les points suivants :
- la date à laquelle doit se placer l’homme du métier pour analyser le contenu de la demande de brevet est sa date de dépôt; par conséquent, ses connaissances générales doivent en théorie se « limiter » à celles existant à cette date (point 11.2.), et non être étendues à celles existant à la date du litige.
- l’enseignement technique de la demande doit être pris dans son sens le plus large comme étant tout ce qui peut être dérivable de la demande : il ne s’agit pas de se limiter à la divulgation directe et non-ambigüe des informations pertinentes, approche réservée à l’appréciation de l’Art.123(2)CBE (points 11.8. et 11.13).
- L’effet technique à prendre en compte dans le raisonnement d’activité inventive ne doit pas être décrit explicitement ni prouvé par des données, il doit être « compris conceptuellement » dans l’enseignement de la demande pris au sens le plus large (critère 1) et « nécessairement mis en œuvre » par l’objet revendiqué (critère 2) (point 11.10).
- Pour apprécier si l’effet technique remplit le critère 2 de G2/21, la question clef est de savoir si l’homme du métier, ayant les connaissances générales de la date de dépôt, et en se basant sur le contenu de la demande telle que déposée, aurait eu une raison légitime de douter que l’effet technique allégué puisse être obtenu grâce à l’invention revendiquée (point 11.14). L’existence d’un tel doute est évidemment souvent à la charge de l’opposant (point 17.4.2).
Cette notion « d’absence de doute légitime » permettant de valider le critère 2 de G2/21 a été reprise par d’autres Chambres de Recours, essentiellement pour l’appréciation de la suffisance de description (voir par exemple T728/21, T0025/20, T0853/22 et T0197/22).
De nombreuses décisions ayant eu à admettre ou à écarter des données post-dépôt ont été prononcées depuis la publication de G2/21. Nous les avons étudiées en détail, afin d’évaluer si les critères préconisés par G2/21 et T116/18 ont été réutilisés par les juges des Chambres de Recours et, le cas échéant, quelle en a été l’incidence sur les procédures en cours.
1/ Appréciation de l’activité inventive
Dans le raisonnement d’activité inventive, des données expérimentales peuvent être fournies post-dépôt pour soutenir deux étapes clefs de l’approche ‘problème-solution’ si chère à l’OEB : i) la définition du problème technique à résoudre et ii) sa résolution par l’invention telle que revendiquée. Les mandataires savent bien qu’il est possible d’utiliser, en cours de procédure d’examen ou d’opposition, un effet technique différent de celui initialement proposé dans la demande, par exemple lorsqu’un nouvel art antérieur a été identifié et opposé. Le problème technique à résoudre est alors souvent d’améliorer cet effet vis-à-vis d’une solution alternative proposée dans l’art antérieur. Heureusement, il n’est pas requis que la demande contienne des données expérimentales démontrant cette amélioration, dans la mesure où l’art antérieur le plus pertinent n’a pas toujours été identifié au moment du dépôt, et les comparaisons nécessaires n’ont donc pas pu être faites. Par ailleurs, l’effet en question n’a parfois pas été étudié ni a fortiori démontré par les inventeurs au moment du dépôt de la demande, bien qu’il puisse être intrinsèquement mis en œuvre par l’invention (qui, elle, n’a pas changé).
Dans ce contexte, il est important d’évaluer si données expérimentales post-dépôt peuvent être prises en compte dans l’évaluation de l’activité inventive, dans la mesure où cela rendra la formulation du problème technique objectif et/ou sa résolution plus favorables au titulaire. Comme nous allons le voir, la question cruciale est souvent de déterminer si l’effet technique qu’elles démontrent est (ou non) décrit ou suggéré dans la demande.
1.1. Effet technique divulgué mais amélioré
La demande de brevet initialement déposée ne contient en général aucune donnée montrant que l’invention présente un effet meilleur que la solution proposée dans l’art antérieur le plus proche. Pourtant, en cours d’examen ou d’opposition, le titulaire allègue souvent que le problème technique résolu par son invention n’est pas simplement de produire l’effet allégué dans la demande (ce qui fait de l’invention une simple « alternative » aux moyens existants), mais plutôt d’améliorer cet effet par rapport à ces moyens, sur la base de données expérimentales appropriées, fournies pour l’occasion. Les chambres de recours ont eu maintes fois l’occasion de se prononcer sur l’admissibilité d’un tel « changement » de problème technique.
T0258/21
Cette décision du 23 juillet 2023 concerne l’utilisation de la clevidipine pour traiter l’hypertension chez les patients ayant subi un accident vasculaire cérébral (AVC). La demande initiale proposait d’utiliser ce médicament pour traiter tout type d’accidents vasculaires (qu’il soit d’origine hémorragique ou ischémique). En cours de procédure, le titulaire a limité le groupe de patients à ceux ayant subi un AVC de type « ischémique », alors que la demande ne fournissait pas de données expérimentales démontrant l’effet de la clevidipine sur ce type de patients. En cours d’opposition, le breveté a fourni des données complémentaires démontrant non seulement que l’administration de la clevidipine était efficace chez ces patients, mais en outre qu’elle permettait un meilleur traitement et moins d’effets secondaires que d’autres agents connus pour traiter l’hypertension, particulièrement chez ces patients. Le problème technique à résoudre devait donc selon lui prendre en compte le fait qu’il y ait une amélioration de l’état de ces patients par rapport aux autres médicaments antérieurement décrits. Dans ce cas précis, la Chambre 3.3.07 a refusé de modifier le problème technique et d’accepter les données comparatives au motif que l’amélioration du traitement chez ces patients particuliers n’était pas mentionnée dans la demande d’origine, et que la demande proposait au contraire d’utiliser la clevidipine pour traiter tout type d’accidents vasculaires (d’origine hémorragique ou ischémique). L’effet amélioré chez les patients à AVC d’origine ischémique n’était donc pas « dérivable » de la demande d’origine (page 10). La Chambre conclut cependant que les données complémentaires, même si elles avaient été acceptées, n’auraient pas permis de démontrer un réel effet amélioré, car les résultats fournis par le titulaire n’étaient pas probants (page 10). La prise en compte ou non des données n’a donc eu que peu d’incidence sur l’issue du dossier, ce qui explique peut-être pourquoi les critères 1 et 2 de G2/21 n’ont pas été analysés précisément dans cette décision. L’activité inventive de l’invention n’a finalement pas été reconnue, des documents antérieurs incitant à utiliser la clevidipine pour traiter les patients à AVC d’origine ischémique ou hémorragique et le breveté ne pouvant invoquer un effet surprenant du traitement chez ces patients, sauf à soulever une objection d’insuffisance de description (page 14).
T2716/19
Cette décision publiée le 10 janvier 2024 concerne une méthode de fabrication de 9-[2-(phosphonomethoxy) propyl]adenine (PMPA) comprenant la réaction d’oxydes de magnésium particuliers. La demande telle que déposée présentait ces oxydes de magnésium comme étant préférés, mais sans fournir de données comparatives permettant d’établir en quoi la méthode était améliorée lorsqu’on les utilisait. L’opposante soutenait que la demande telle que déposée n’exposait pas d’effet technique associé au choix des oxydes de magnésium revendiqués. Le breveté a fourni en opposition des données expérimentales montrant que l’utilisation de ces oxydes permettait d’augmenter le rendement de la réaction de fabrication du PMPA et soutenait donc que le problème technique à résoudre était d’identifier un procédé de fabrication amélioré, notamment concernant son rendement. La Chambre 3.3.02 remarque que les deux oxydes revendiqués étaient bien identifiés comme préférés dans la demande telle que déposée, et qu’un des exemples montre comment mettre en l’œuvre le procédé de l’invention avec ces deux oxydes, ainsi que le rendement associé à ce procédé. L’homme du métier aurait donc « immédiatement reconnu que l’amélioration du rendement du produit d’intérêt, ici le PMPA comme étant un objectif fondamental de la méthode » (pages 11-12). L’effet technique d’amélioration du rendement de PMPA est donc selon la Chambre « compris » et « mis en œuvre » par l’invention originellement décrite, conformément aux exigences de G2/21, ce qui lui a permis d’accepter le changement de problème technique et les données complémentaires démontrant l’augmentation du rendement, reconnaissant in fine l’activité inventive du procédé de l’invention.
T1551/22
Cette décision du 29 janvier 2024 concerne une composition cosmétique contenant des particules solides et un agent tensioactif. Le breveté a fourni des données après le dépôt, démontrant que cette composition cosmétique mousse plus rapidement et abondamment que les compositions connues de l’art antérieur. Le breveté demandait que le problème technique ne soit pas limité à fournir une composition « alternative », mais une composition « améliorée » vis-à-vis de l’art antérieur, sur la base de ces données. La Chambre 3.3.07 accepte ce changement de formulation du problème technique, dans la mesure où la demande telle que déposée mentionnait bien que l’objectif de l’invention était de fournir une mousse abondante rapidement, et que la composition de l’invention le permettait effectivement (exemples 2 et 3). Cet effet amélioré est donc selon la Chambre « compris » et « mis en œuvre » par l’invention originellement décrite, conformément aux exigences de G2/21, de sorte que les données post-dépôt ont été admises, et l’activité inventive de l’invention reconnue.
Il apparaît donc possible de faire accepter des données supplémentaires et ainsi de modifier a posteriori le problème technique en y ajoutant la notion d’amélioration d’un effet technique, sous réserve que la demande d’origine démontrait ledit effet technique (résultats à l’appui). Dans la décision T1989/19 (qui sera discutée plus en détails ci-après), la Chambre 3.3.02 a d’ailleurs formalisé le bien-fondé de cette pratique en justifiant qu’un effet technique, dans le cadre d’une invention, cherche toujours à être « amélioré ». Ainsi, lorsqu’un effet technique est démontré dans la demande telle que déposée (voire « dérivable » de l’enseignement de la demande, comme le suggère T1989/19), le problème technique peut donc être révisé pour viser l’« amélioration » de cet effet par rapport à d’autres moyens connus, même si cela n’a pas été formellement prévu dans la demande.
Cependant, lorsque l’effet amélioré concerne une « synergie » non initialement décrite dans la demande, la position des Chambres de Recours est variable :
1.2. Synergie non initialement identifiée
Lorsque l’invention implique d’utiliser deux composés, l’existence d’une synergie entre ces deux composés est souvent un bon argument pour faire reconnaitre l’activité inventive d’une invention. Cette synergie n’a parfois pas été identifiée au moment du dépôt, et ce n’est qu’a posteriori que le déposant la démontre et demande d’en tenir compte dans la formulation du problème technique. Dans les décisions publiées depuis G2/21, les Chambres de Recours 3.3.07, 3.3.02 et 3.3.06 n’ont pas raisonné de la même manière.
T873/21
La décision T0873/21 publiée le 20 juin 2023 a été la première décision publiée tenant compte des critères 1 et 2 proposés par G2/21. Dans le cadre de cette affaire, la Chambre de Recours 3.3.07 a apprécié les critères 1 et 2 de manière très large : l’obtention d’une synergie entre deux composés connus pour traiter les maladies revendiquées y a été reconnue comme problème technique objectif alors que la demande alléguait (sans le démontrer) que la combinaison des deux composés était « préférée » et permettrait « d’améliorer » la sensibilité à l’insuline (sans toutefois parler de « synergie »). En cours de procédure, le titulaire avait fourni des données démontrant que les deux composés avaient en fait un effet synergique sur la sensibilité à l’insuline. Selon lui, cette synergie devait être prise en compte dans la définition du problème technique résolu par l’invention, car elle était « plausible » au vu des effets individuels de chaque composé. Le critère 1 a été jugé comme rempli du fait que l’effet synergique démontré a posteriori était bien « inclus » dans l’effet « d’amélioration » allégué dans la demande telle que déposée, et le critère 2 du fait que la combinaison revendiquée y était clairement explicitée comme préférée (cf. points 3.3.2. et 3.3.3.). Ainsi, nul besoin de preuves expérimentales ni de considérations techniques pour soutenir la plausibilité d’un effet technique (synergique ou non) : de simples allégations péremptoires dans la description ont suffi dans ce cas à justifier qu’un effet synergique serait « dérivable » de la demande et donc que les données expérimentales démontrant cette synergie pouvaient être admises dans la procédure. De manière surprenante, le fait que la demande initiale ne contenait aucune preuve expérimentale montrant la sensibilité à l’insuline de la combinaison de l’invention n’a pas été discuté.
T116/18
Dans cette décision déjà évoquée plus haut, la question était de savoir si des données fournies post-dépôt décrivant l’existence d’une synergie entre deux composés de l’invention sur une nouvelle espèce de papillon de nuit citée dans la demande pouvaient être acceptées et par conséquent justifier que le problème technique soit reformulé comme étant de produire un effet synergique envers cette nouvelle espèce de papillon. Dans la demande telle que déposée, des synergies avaient été démontrées contre d’autres insectes, et la nouvelle espèce de papillon de nuit était mentionnée. La Chambre 3.3.02 a finalement considéré que ce nouvel effet synergique était compris dans l’enseignement de la demande telle que déposée – le critère 1 de G2/21 était donc rempli. L’opposant n’ayant pas pu prouver qu’il soit possible de douter que cet effet synergique existe envers la nouvelle espèce de papillon, et la demande contenant un grand nombre d’exemples démontrant l’effet de différentes compositions sur différents insectes, le critère 2 de G2/21 a également été validé (point 17). Ainsi, les données additionnelles ont été acceptées, et le problème technique modifié, bien que la demande ne contenait à l’origine aucune donnée vis-à-vis de la nouvelle espèce de papillon.
T681/21
Cette décision intéressante publiée en octobre 2023 (donc après T116/18) concernait un cas où le nouvel effet technique démontré par le breveté était l’existence d’une synergie entre deux composants (du silicone et un polymère CPP) pour assouplir du linge. La demande telle que déposée ne contenait aucune preuve expérimentale de l’effet synergique des deux composants combinés. Le CPP était uniquement présenté dans la demande comme polymère « préféré ». L’effet technique présenté dans la demande était celui de « l’amélioration » de la douceur du linge. La Chambre 3.3.06 a considéré que le critère 1 de G2/21 n’était pas rempli car l’effet synergique n’était pas « décrit » dans la demande et le breveté n’avait fourni aucune preuve que le silicone et le CPP puissent interagir de manière « synergique » (point 1.2.5.). Un effet technique moins ambitieux (une simple augmentation de l’effet adoucissant) dans le cadre de la requête auxiliaire n°4 a quant-à-lui été jugé comme remplissant les critères 1 et 2 de G2/21, l’effet « adoucissant » ayant été mentionné dans la demande de manière explicite (point 5.2.1.). Dans cette affaire, le problème technique ainsi reformulé n’a cependant pas permis de conclure à l’activité inventive de cette requête, car chaque composé de la combinaison avait des propriétés adoucissantes connues.
Si les deux premières décisions (T873/21 et T116/18) laissaient penser que l’existence d’une synergie démontrée a posteriori suffit pour élargir le problème technique et pallie l’absence de données dans la demande initiale, la troisième décision, bien plus dure, suggère qu’il est important que la synergie ait initialement été mentionnée dans la demande. On pourra retenir de T873/21 que des données démontrant un effet synergique peuvent être acceptées pour défendre l’activité inventive d’une invention même si la demande d’origine ne contient aucune donnée démontrant ledit effet, sous réserve qu’il ait été initialement décrit dans la demande.
La prise en compte de données expérimentales démontrant un effet non divulgué dans la demande d’origine reste cependant plus problématique :
1.3. Effet technique non mentionné dans la demande
Les déposants fournissent parfois a posteriori des données démontrant que l’invention induit un effet technique qui n’était pas mentionné dans la demande initiale et demandent de prendre en compte ce nouvel effet technique dans le problème technique objectif. Le point crucial pour les Chambres de Recours est alors d’apprécier si ce nouvel effet technique est « dérivable » de l’enseignement de la demande initialement déposée, en application du critère 1 de G2/21. Le cas échéant, les nouvelles données sont acceptées et le problème technique reformulé.
Nous avons identifié plusieurs décisions illustrant comment les Chambres de Recours peuvent raisonner dans ce cas :
1.3.1. Effet technique dérivable de l’enseignement de la demande initiale
T1045/21
Dans cette affaire, la différence entre l’invention et le document de l’art antérieur le plus proche consistait à administrer le médicament revendiqué (l’édaravone) à un sous-groupe de patients souffrant de sclérose latérale amyotrophique présentant tout particulièrement une capacité de force vitale (FVC) supérieure à 80%. La demande contenait les résultats des études cliniques de phase II et III qui ne révélait pas l’avantage d’administrer ce médicament à ces patients particuliers et l’invention n’avait donc pas été jugée inventive par la division d’opposition. En recours, le breveté a transmis des analyses statistiques basées sur les valeurs divulguées initialement dans le brevet (analyse « post-hoc »), démontrant selon lui un effet avantageux sur les patients ayant une FVC supérieure à 80%. La Chambre de Recours (3.3.07) a accepté de considérer ces analyses, sans toutefois expliquer pourquoi. Le fait que les valeurs analysées étaient déjà présentes dans la demande y a sans doute contribué ! Cependant, elle a finalement conclu que cette analyse a posteriori des résultats de la demande impliquait potentiellement de nombreux biais et qu’elle ne permettait pas de démontrer de manière suffisamment rigoureuse que l’effet amélioré se basait uniquement sur la différence de FVC revendiquée. Le problème technique n’a donc pas pu être modifié, bien que les données additionnelles aient été prises en compte.
T1989/19
Cette décision de la Chambre de Recours 3.3.02 a été publiée le 30 juin 2023 donc avant que la décision T116/18 ne soit publiée. L’invention concernait un micronisat crystallin de bromure de tiotropium ayant des caractéristiques de taille particulières. Le breveté avait montré dans des données fournies post-dépôt que la stabilité de ce micronisat était améliorée. Il souhaitait donc que le problème technique objectif puisse porter sur l’amélioration de la stabilité des particules du micronisat. La demande de brevet ne faisait pas mention de la stabilité du micronisat de l’invention. Cependant, la demande indiquait que la composition de l’invention était « inhalable » et la demande ainsi que les documents de l’art antérieur au dossier enseignaient qu’une taille particulière des particules était essentielle pour que le médicament puisse être inhalé. La Chambre a donc considéré que l’homme du métier aurait compris de l’enseignement de la demande et de ses connaissances générales que la taille des particules du micronisat de l’invention devait rester suffisamment stable dans le temps pour qu’il puisse finalement être inhalé par le patient. Aucun doute à ce sujet n’a été exprimé par l’opposante. L’effet technique de « stabilité », pourtant non décrit dans la demande initiale, a ainsi été jugé « dérivable » de l’enseignement de cette demande, et « incarné » par l’invention initiale, dans la mesure où la réalisation de ce problème technique « ne modifie pas la nature de l’invention revendiquée », validant ainsi les critères 1 et 2 de G2/21 (point 3.3.14). La Chambre a en outre accepté de formuler le problème technique comme étant celui « d’améliorer la stabilité » puisqu’un effet technique, dans le cadre d’une invention, doit toujours être « amélioré ». Ainsi, les données additionnelles ont pu être acceptées et l’activité inventive de l’invention reconnue.
T1445/21
L’invention concernait une composition liquide nettoyante contenant des microcapsules de parfum et un minimum d’eau (composition « anhydre »). La différence entre cette invention et l’art antérieur le plus proche était la faible quantité d’eau présente dans la composition de l’invention, ce qui induisait, d’après le breveté, une meilleure performance olfactive du produit anhydre selon l’invention. Ceci avait été démontré dans un rapport expérimental fourni pendant l’opposition. Le breveté demandait que le problème technique, initialement lié à la stabilité du produit, soit orienté sur la performance olfactive de celui-ci, et que le rapport expérimental soit pris en compte dans le raisonnement d’activité inventive. La Chambre 3.3.07 a accepté ce changement de problème technique jugeant « évident que la mesure de la performance olfactive de la composition est directement liée à la stabilité des microcapsules contenant le parfum » (page 14), ayant remarqué que, dans le brevet lui-même, la stabilité des compositions était contrôlée en mesurant leur teneur en parfum et donc leur performance olfactive. Ainsi, selon la Chambre, la performance olfactive était bien « comprise » dans l’enseignement technique du brevet et le critère 1 de G2/21 rempli (le critère 2 de G2/21 n’a pas été discuté). Cependant, les résultats fournis n’étaient pas suffisants pour démontrer que la meilleure performance olfactive était due à la faible quantité d’eau revendiquée, qui constituait la seule différence avec l’art antérieur. Le problème technique a donc finalement été limité à la fourniture d’une composition alternative, et la solution revendiquée a été jugée évidente.
1.3.2. Effet technique non dérivable de l’enseignement de la demande initiale
Nous avons également identifié plusieurs décisions illustrant comment les Chambres de Recours raisonnent lorsque l’effet technique n’est pas déductible ni « dérivable » de l’enseignement de la demande initiale :
T887/21
Dans ce cas d’espèce, les revendications visaient une composition nutritionnelle utilisée pour prévenir des infections bactériennes secondaires survenant après une première infection virale, par exemple due au virus de la grippe. Le texte de la demande ne contenait aucun résultat expérimental mais décrivait des mécanismes biochimiques expliquant en théorie comment la composition de l’invention pouvait agir de manière « particulièrement efficace » après une infection par le virus de la grippe, en rendant certaines cellules plus vulnérables aux infections bactériennes. Après dépôt, le breveté avait fourni des données additionnelles comparatives montrant que la composition selon l’invention avait en fait un effet antibactérien direct. La Chambre 3.3.04 a considéré que ces données ne pouvaient pas être prises en compte dans la mesure où le nouvel effet technique démontré (action antibactérienne directe) n’était pas « compris » dans l’enseignement technique de la demande (qui prônait une modulation des propriétés des cellules après infection virale). Le mécanisme démontré dans les données post-dépôt n’étant pas celui mentionné dans la demande telle que déposée, le critère 1 de G2/21 n’était pas rempli (point 2.15.4). La Chambre a donc ici considéré que, pour satisfaire le critère 1 de G2/21, « l’effet technique » mis en œuvre dans les données post-dépôt ne doit pas seulement être « compris » dans l’effet revendiqué (ici prévenir une infection bactérienne), mais également respecter les allégations mécanistiques / techniques présentes dans la demande initialement déposée (mêmes si elles ne sont que théoriques et que le déposant a bien pris soin d’indiquer qu’elles ne sont pas limitantes - « without wishing to be bound by theory » - comme c’était le cas ici). Il est à noter que les données comparatives fournies a posteriori n’étaient, selon la Chambre, pas assez convaincantes pour démontrer une quelconque amélioration de l’effet antibactérien vis à vis des compositions de l’art antérieur… le résultat aurait donc été le même si les données avaient été acceptées : le problème technique (produire un effet antibactérien amélioré) n’aurait pas été jugé résolu par l’invention (point 2.15.5).
T0364/20
Pour défendre l’activité inventive d’une composition à base de paraffine, le breveté avait fait valoir lors de la procédure d’opposition que la composition revendiquée produisait un taux faible de composés volatiles organiques (VOCs), ce qui n’avait pas été suggéré (ni a fortiori démontré) dans la demande telle que déposée. La Chambre de Recours 3.3.02 a considéré que le problème technique objectif ne pouvait pas être lié à cet effet technique, car il n’était pas décrit dans la demande (point 11.5.3.). Elle n’a pas cherché à savoir si un tel effet pouvait par ailleurs se déduire de la demande grâce aux connaissances générales de l’homme du métier. Le problème technique objectif, ne pouvant se baser sur cet effet technique, a été réduit à la fourniture d’une « composition alternative » ; l’invention a finalement été jugée non-inventive, étant une « alternative raisonnable » aisément identifiable par l’homme du métier sur la base de ses connaissances générales, même sans incitation dans l’art antérieur.
T1994/22
Dans cette décision du 15 avril 2024, la Chambre 3.3.02 (c’est-à-dire celle ayant statué sur T116/18 à l’origine de G2/21) n’a pas accepté que le breveté oriente le problème technique sur un effet très particulier non divulgué dans la demande d’origine (en l’occurrence la photostabilité améliorée de la forme cristalline II revendiquée par rapport à d’autres formes cristallines décrites dans la demande). La demande telle que déposée mentionnait très généralement que toutes ces formes cristallines étaient de « grande qualité » et « manipulables facilement de manière industrielle ». Le Breveté argumentait que la photostabilité faisait partie des caractéristiques connues pour améliorer la qualité des cristaux, de sorte que le critère 1 de G2/21 était rempli ; de plus, dans la mesure où il n’existait selon lui aucune raison légitime de douter que la photostabilité de la forme II revendiquée soit meilleure que celle des autres formes cristallines décrites dans la demande, le critère 2 de G2/21 l’était aussi (cf. critère 2 proposé dans T116/18). La Chambre de Recours n’a pas suivi ce raisonnement, considérant que les critères 1 et 2 de G2/21 ne pouvaient être remplis ici, même en les interprétant le plus largement possible (cf. T116/18). Plus précisément, la simple mention d’une « grande qualité » et « manipulabilité aisée » ne saurait selon elle englober un effet technique aussi précis que la « photostabilité ». De plus, aucun effet technique avantageux n’avait été attribué dans la demande d’origine à la forme II finalement revendiquée. Il n’était donc pas possible de considérer au vu de la demande telle que déposée qu’une photostabilité améliorée était « nécessairement mise en œuvre » par l’objet revendiqué. Ce nouvel effet technique, trop précis vis-à-vis des allégations générales mentionnées dans la demande, ne pouvait donc pas servir à apprécier l’activité inventive de l’invention, et les données supplémentaires n’ont pas été analysées.
Nous pouvons conclure de l’ensemble de ces décisions que le critère 1 de G2/21 est le point crucial pour faire accepter des données supplémentaires démontrant un nouvel effet technique non initialement divulgué dans la demande. Si ce nouvel effet n’est pas « compris » dans, ou à tout le moins « dérivable » de, l’enseignement de la demande d’origine, les nouveaux résultats ne seront pas analysés et le problème technique ne sera pas reformulé. De plus, lorsque la Chambre est en mesure de « douter » que les données fournies ne prouvent pas que le nouvel effet technique est bien induit par l’élément différenciant l’invention de l’art antérieur, l’activité inventive est finalement remise en cause.
2/ Appréciation de la suffisance de description
Des données post-dépôt peuvent aussi être cruciales pour démontrer la suffisance de description d’une invention, par exemple pour qu’il soit reconnu que l’effet technique allégué dans la demande (voire revendiqué dans le cas des revendications de seconde application thérapeutique) est bien induit par l’invention telle que revendiquée. Les Examinateurs doivent en premier lieu apprécier l’admissibilité de ces données.
Le point crucial est toujours ce que comprend l’homme du métier du contenu de la demande telle que déposée, avec ses connaissances générales à la date de dépôt. Selon la Grande Chambre de Recours, ce point doit être analysé de manière encore plus stricte lorsque la revendication est de seconde application thérapeutique, car l’effet thérapeutique est alors nécessairement revendiqué. Par conséquent, si la demande ne démontre pas cet effet thérapeutique, et qu’elle ne contient aucun autre élément technique rendant suffisamment crédible que cet effet puisse exister, alors la demande est insuffisamment décrite et aucune donnée post-dépôt ne pourra y remédier (point 71 de G2/21).
Cette position a été confirmée dans toutes les décisions publiées depuis mars 2023 :
T2735/19
Dans cette décision antérieure à T116/18, la Chambre 3.3.07 a accepté de prendre en compte des données additionnelles démontrant que le médicament de l’invention (TAS-102) était utilisable contre tout type de cancer (y compris du sang), bien que les données présentes dans la demande concernaient uniquement des patientes souffrant de cancer du sein (point 5.2). Ces données ont été acceptées car i) la demande fournissait une preuve de l’efficacité du médicament sur un type de cancer particulier et ii) l’homme du métier connaissait le mécanisme d’action d’un des composés de la combinaison sur la réplication de l’ADN (rendant crédible son effet anti-cancéreux sur n’importe quel type de cancer). Cette décision montre qu’il est possible de faire accepter des données post-dépôt en vue de démontrer la suffisance de description d’une revendication de seconde application thérapeutique, lorsque les connaissances générales de l’homme du métier combinées à l’enseignement de la demande initiale rendent "crédibles" l’effet démontré dans ces données.
T728/21
La demande à l’origine de cette décision explicitait que la combinaison revendiquée (ivacaftor et lumacaftor) était un mode de réalisation « selon l’invention », sans toutefois présenter aucun résultat montrant qu’elle remplissait l’effet technique revendiqué (en l’espèce, le traitement de la fibrose cystique chez des patients particuliers). La description de la demande donnait cependant des informations précises sur l’effet thérapeutique de chaque composé. D’après la Chambre 3.3.07, la suffisance de description d’une seconde application thérapeutique peut se fonder sur des allégations verbales contenues dans la description de la demande, sans résultat expérimental fourni dans la demande, sous réserve que ces allégations soient précises et vérifiables. Elles peuvent par exemple se baser sur des informations qui rendent crédibles l’effet thérapeutique revendiqué et sont accessibles à l’homme du métier à la date de dépôt, et ce même si elles ne sont pas qualifiables de « connaissances générales » (points 3.2. et 3.3.). Dans cette affaire, la Chambre 3.3.07 a également pris en compte le fait qu’il n’existait aucun doute sérieux sur l’obtention de l’effet thérapeutique revendiqué, contrairement à ce que prétendait l’opposant (point 3.4.). La suffisance de description de l’invention a donc été reconnue.
T0025/20
Dans cette décision du 11 janvier 2024, la Chambre 3.3.02 (i.e., celle ayant statué sur T116/18) a considéré que les exemples de la demande initialement déposée, qui étaient sensés décrire l’efficacité de la cyclobenzaprine pour améliorer le sommeil chez des patients souffrant de troubles dus à un stress post-traumatique (TSPT), étaient « prophétiques » (il s’agissait d’études cliniques à mener pour valider l’intérêt de la molécule). La Chambre a néanmoins étudié quelles étaient les connaissances générales de l’homme du métier à la date de dépôt de la demande, et a noté que la cyclobenzaprine était connue pour soulager les troubles du sommeil en général, et que les troubles du sommeil étaient un problème majeur chez les individus souffrant de TSPT. De son côté, l’opposant a pu démontrer qu’à la date du dépôt de la demande, certaines cyclobenzaprines étaient certes connues pour améliorer le sommeil en général, mais pas chez les patients TSPT. En l’absence de toute autre information dans la demande concernant le mécanisme d’action de ces molécules chez les patients en question, la Chambre a considéré qu’il existait des doutes substantiels sur l’efficacité des cyclobenzaprines de l’invention sur les troubles du sommeil chez les patients TSPT, de sorte que l’effet revendiqué n’était qu’une supposition. Les données additionnelles fournies par le titulaire pour remédier aux lacunes de la demande n’ont donc pas été acceptées (point 6.4.).
T0853/22
Cette décision a été publiée le 7 février 2024. La demande de brevet impliquée dans cette affaire revendiquait l’utilisation de l’acétate de glatiramère (AG) pour traiter les patients atteints de sclérose en plaque, avec une posologie particulière. La demande de brevet initialement déposée ne contenait aucune donnée expérimentale mais décrivait l’essai clinique qui allait être initié par la suite, précisant toutes les mesures qui seraient effectuées. La Chambre 3.3.04 a considéré que l’annonce d’un essai clinique, même s’il contient tous les détails nécessaires pour reproduire l’invention, ne suffit pas à suggérer qu’un effet thérapeutique existe. Les opposants ayant fourni de nombreux documents montrant que l’effet technique recherché (en l’espèce diminuer l’atrophie du cerveau chez les patients souffrant de sclérose multiple) était très difficile à obtenir dans un délai raisonnable, et une attestation d’expert révélant que l’atrophie du cerveau chez de tels patients est rarement corrélée aux autres paramètres effectivement testés dans la demande, la Chambre a finalement considéré que l’effet allégué n’était pas crédible, et refusé de prendre en compte les données additionnelles le démontrant. Ainsi, la Chambre a analysé dans le détail les connaissances de l’homme du métier existant à la date de dépôt de la demande, pour finalement conclure qu’il existait des doutes trop sérieux pour que l’effet technique allégué soit crédible à la date de dépôt de la demande (points 18, 23, 24, 28 and 29).
T0209/22
Cette décision de la Chambre de Recours 3.3.04 a été publiée le 21 mars 2024. Dans ce dossier, la revendication couvrait l’administration quotidienne d’une combinaison de deux molécules pour traiter l’asthme ou la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Les deux molécules impliquées (l’umeclidinium et le vilanterol) avaient déjà été proposées dans l’art antérieur, séparément, pour traiter ces maladies, et leur efficacité en monothérapie était démontrée pendant 24 heures. Les résultats de la demande initialement déposée démontraient quant à eux que la combinaison des deux molécules était bien tolérée par des volontaires sains, et une différence significative sur la dilatation des bronches était observable chez ces volontaires. La Chambre en a déduit que le produit de combinaison de l’invention avait un effet crédible à la dose revendiquée : «Based on the information provided in the application as filed, there is thus a strong presumption that dual therapy with umeclidinium/vilanterol would be effective in the treatment of asthma or COPD, and that a dosage regimen of once-daily administration would be feasible. Both aspects would have been regarded as credible at the effective date.” (point 5.4.5.). Les données supplémentaires de phase III, réalisées sur des patients souffrant de BPCO et d’asthme, ont par conséquent été acceptées et la suffisance de description de l’invention reconnue.
T0197/22
Cette décision de la Chambre 3.3.07, publiée le 22 mars 2024, confirme qu’en l’absence de données expérimentales suffisantes fournies dans la demande, les données post-dépôt fournies pour surmonter une objection d’insuffisance de description ne sont pas prises en compte s’il existe un doute sur l’efficacité de l’invention revendiquée. En l’espèce, l’invention concernait l’utilisation de liposomes contenant des ARNm pour traiter des maladies génétiques par thérapie génique. Bien que des données expérimentales in vivo (montrant que des ARNm atteignent bien les cellules d’intérêt une fois administrés chez la souris, et qu’ils y sont bien transfectés) étaient présentes dans la demande telle que déposée, ces données n’ont pas été jugées suffisantes pour démontrer que le niveau d’’expression du transgène dans les cellules cibles était suffisant pour permettre une thérapie génique. Les opposants avaient fourni des documents montrant qu’un taux de transfection relativement élevé est requis pour qu’une thérapie génique soit fonctionnelle et que de nombreuses méthodes de transfection connues à la date de dépôt de la demande ne le permettent pas (points 2.3.2. et 2.3.3.). Etant donnée l’existence de ces préjugés techniques, les exemples présents dans la demande (révélant la preuve du concept de cette transfection avec une enzyme luciférase) n’ont pas été jugés suffisants pour rendre crédible l’application revendiquée et les données additionnelles n’ont donc pas été acceptées (point 2.4.).
L’analyse des décisions publiées depuis mars 2023 confirme donc qu’il est possible de faire accepter des données post-dépôt pour surmonter une objection selon l’Article 83CBE lorsque l’enseignement de la demande et les connaissances générales de l’homme du métier à la date du dépôt de la demande rendent l’effet allégué « crédible » (et plus seulement « plausible »). De plus, les données sont souvent refusées lorsque l’opposant peut mettre en lumière des préjugés techniques ou un enseignement lacunaire du brevet, faisant douter que l’effet technique puisse effectivement être atteint par l’invention.
Il est possible de conclure de l’analyse des décisions mentionnées ci-dessus que, lorsqu’il est question d’admettre des données additionnelles allant au-delà d’une simple confirmation des résultats fournis dans la demande, démontrer la « plausibilité » ou la « crédibilité » de l’effet revendiqué reste largement d’actualité. Cette démarche, basée sur une analyse technique fine du contenu de la demande et des connaissances générales de l’homme du métier, rejoint le critère 1 proposé par G2/21 et est la plus souvent suivie par les juges techniques.
Il est donc toujours recommandé pour les titulaires de veiller à ce que les demandes de brevet contiennent un maximum d’indications techniques concernant le (ou les) effet(s) induit(s) par l’invention. Du côté des opposants, il sera toujours utile de pouvoir démontrer l’existence de préjugés techniques existant à la date de dépôt de la demande, qui feraient douter l’homme du métier de la crédibilité de l’effet technique allégué, et ainsi empêcher la prise en compte des données post-dépôt.