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Les Directives chinoises du 8 novembre 2024 marquent une nouvelle étape dans la régulation des brevets essentiels aux normes (SEP) en Chine. Ce texte normatif, issu d'un contexte de développement technologique rapide et de mondialisation accrue, vise à promouvoir un environnement concurrentiel sain et équitable dans un secteur stratégique pour l'économie chinoise.

Les brevets essentiels aux normes, par leur nature même, confèrent à leurs titulaires un pouvoir de marché considérable. En effet, ces brevets couvrent des technologies indispensables à l'implémentation de normes industrielles largement adoptées, plaçant ainsi leurs titulaires dans une position de force lors des négociations de licences. Cette situation peut engendrer des pratiques anticoncurrentielles telles que le refus de licence, l'imposition de redevances excessives ou de conditions contractuelles discriminatoires.
C'est dans ce contexte que les Directives chinoises s'inscrivent. Elles visent à prévenir et à sanctionner ces abus, en définissant un cadre juridique clair et précis pour l'exploitation des SEP.

Les principes fondamentaux énoncés dans ces directives peuvent être résumés comme suit:

  • Les titulaires de SEP sont tenus d'accorder des licences à toute entité souhaitant fabriquer, utiliser ou vendre des produits conformes à la norme, et ce, à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires (FRAND). Cette obligation est corrélative au caractère essentiel du brevet, qui confère à la société un intérêt à ce que la technologie soit largement diffusée.
  • Les redevances et les autres termes des contrats de licence doivent être déterminés de manière objective et transparente, en tenant compte de facteurs économiques pertinents tels que la valeur économique du brevet, les coûts de recherche et développement, les redevances pratiquées pour des technologies comparables ou encore la part de marché de chaque partie.
  • Les directives prohibent toute conduite visant à restreindre indûment la concurrence, telle que le refus injustifié de licence, l'imposition de conditions liées (tying), les pratiques d'exclusion et les comportements de mauvaise foi dans les négociations.
    En effet, elles renforcent l’exigence de négociation de bonne foi, détaillent davantage les critères de détermination d’un prix excessif et étendent la régulation anti-monopole aux pools de brevets. Ces précisions viennent clarifier le cadre existant et assurer un équilibre plus efficace entre protection des droits de propriété intellectuelle et préservation de la concurrence.

1. L’exigence de négociation de bonne foi
Les Directives chinoises du 8 novembre 2024 (article 8) offrent désormais un cadre plus détaillé pour appréhender la notion de « négociation de bonne foi », en prévoyant un processus en quatre étapes qui vient compléter le principe FRAND. Conformément à cet article, le titulaire du SEP et l’utilisateur doivent faire preuve de bonne foi à chaque phase :

  1. Première étape : le titulaire du SEP doit présenter une offre de licence claire et détaillée, contenant notamment la liste des brevets faisant partie du SEP, un tableau de correspondance entre un nombre raisonnable de SEP et la norme concernée, la méthode de calcul des redevances ainsi que le délai de réponse raisonnable.
  2. Deuxième étape : l’utilisateur doit manifester son intention de prendre une licence dans le délai imparti, sans retarder ou refuser la négociation de façon injustifiée.
  3. Troisième étape : le titulaire du SEP propose des conditions de licence conformes à l’engagement FRAND (méthode de calcul des redevances et raisons de leur caractère raisonnable, durée de protection, éventuelles cessions de brevets, etc.).
  4. Quatrième étape : l’utilisateur accepte ces conditions de licence dans un délai raisonnable ou formule, sous ce même délai, une contre-offre compatible avec le principe FRAND.

Chaque partie doit pouvoir prouver qu’elle a satisfait à son obligation de négocier de bonne foi. Les nouvelles Directives clarifient également que l’utilisateur, tout en manifestant sa volonté de prendre une licence, conserve le droit de contester la validité ou la pertinence des brevets en question.
Ce dispositif s’inspire de la jurisprudence chinoise et internationale, notamment des « règles Huawei/ZTE » établies par la Cour de justice de l’Union européenne en 2015 et largement reprises dans d’autres juridictions.


2. Le critère de détermination d’un prix excessif – vers une approche plus nuancée

Les Directives du 8 novembre 2024 (article 13) renforcent le contrôle des « prix excessifs » dans le cadre des licences SEP. Au-delà des critères habituels (coûts de R&D, redevances pour des technologies comparables, etc.), cet article intègre dorénavant de nouveaux facteurs pour apprécier si la redevance imposée est objectivement abusive :

  • Prise en compte du déroulement de la négociation de bonne foi : Le fait que les parties aient effectivement négocié selon les principes FRAND et se soient conformées aux différentes étapes de la négociation pèse dans l’appréciation d’un éventuel prix excessif.
  • Ajustement régulier selon l’évolution du portefeuille SEP : L’article 13(4) insiste sur la nécessité pour le titulaire du SEP d’ajuster la redevance lorsque la quantité, la qualité ou la valeur de son portefeuille évolue (brevets expirés, invalidés ou ajoutés). Cette exigence s’appuie sur les conclusions de l’affaire Qualcomm (2015), où il avait déjà été reproché à l’entreprise un manque d’ajustement des redevances.
  • Répression des situations de double facturation : L’article 13(5) vise les cas où le même brevet serait exploité par l’intermédiaire d’entités de non-exploitation de brevets (NPE) pour exiger plusieurs fois le paiement de redevances.

À noter que la version finale des Directives omet désormais la référence explicite au critère « licence manifestement supérieure aux coûts de R&D », considérant qu’une simple comparaison avec le coût de l’innovation pourrait négliger l’enjeu de la rémunération équitable du titulaire et l’incitation à innover.


3. La régulation des patent pools

Les patent pools revêtent une importance croissante dans l’écosystème SEP, en particulier pour des technologies complexes nécessitant la coordination de multiples brevets essentiels. Ils permettent une offre de licence groupée et, en principe, simplifient les négociations pour les utilisateurs. Toutefois, cette centralisation comporte également des risques anticoncurrentiels, comme la fixation de redevances uniformes non ajustées ou la difficulté à vérifier la validité de chaque brevet du pool.
Les nouvelles Directives s’attaquent directement à cette problématique :

  • L’article 5 invite les gestionnaires et opérateurs de pools à mettre en place un solide dispositif de conformité antitrust et les encourage à signaler, de leur propre initiative, tout risque de pratique monopolistique à l’autorité de la concurrence.
  • L’article 2 étend la définition de « titulaires de SEP » à tous les opérateurs disposant du droit de concéder des licences. Les pools sont donc formellement soumis aux mêmes obligations FRAND que les titulaires individuels, y compris l’exigence de négociation de bonne foi.
  • Les autorités de concurrence, par le biais de la SAMR, peuvent dorénavant formuler des recommandations de mise en conformité ou engager une enquête à l’encontre d’un pool suspecté de pratiques anticoncurrentielles (redevances non ajustées, exclusion de concurrents, etc.).

Cette évolution représente une avancée notable, puisque les textes antérieurs (« Guidelines sur la propriété intellectuelle », « Règlement sur l’abus de droit de propriété intellectuelle », etc.) restaient relativement laconiques sur les questions spécifiques aux patent pools. Les Directives chinoises du 8 novembre 2024 entendent dès lors apporter plus de clarté et un encadrement juridique approprié à ces structures collectives, tout en préservant leur utilité économique.

L'Administration du marché de la Chine (SAMR) est chargée de veiller à l'application de ces directives. Elle dispose de pouvoirs d'enquête et de sanction étendus, lui permettant de mener des enquêtes approfondies, d'imposer des amendes et d'ordonner des mesures correctives en cas de manquement.

Les Directives chinoises présentent plusieurs innovations par rapport aux réglementations existantes. Elles accordent une importance particulière à la notion de valeur économique du brevet, invitant les parties à mener des analyses économiques approfondies pour justifier le montant des redevances. Elles mettent également l'accent sur la nécessité de promouvoir la transparence dans les négociations de licences, en encourageant les parties à divulguer les informations pertinentes.

L'adoption de ces directives s'inscrit dans un contexte international marqué par une intensification des débats sur la régulation des SEP. La Chine, en tant que puissance économique majeure et acteur de premier plan dans le domaine des technologies, entend ainsi affirmer son leadership et contribuer à l'élaboration de normes internationales en la matière.

En conclusion, les Directives chinoises du 8 novembre 2024 constituent un instrument juridique important pour garantir un environnement concurrentiel sain et équitable dans le secteur des technologies, en clarifiant les règles applicables aux SEP et en renforçant les pouvoirs des autorités de la concurrence.

 

Par Zhanjun WANG et Samuel DESCHAMPS

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