L’obligation de suffisance de description d’une invention dans une demande de brevet est contraignante et représente un exercice délicat
Il arrive dans certaines demandes de brevet que l'invention présente une insuffisance fondamentale en ce sens qu'elle ne peut pas être exécutée par un homme du métier. En pareil cas, la demande ne répond pas aux conditions prévues par la Loi, et il ne peut absolument pas être remédié à ce défaut.
L’article L 613-25 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) énonce : « Le brevet est déclaré nul par décision de justice : […] b) s’il n’expose pas l’invention de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter ; […]».
Cette obligation de suffisance de description est déterminante et justifiée
L'absence de respect de cette obligation constitue l’un des quatre motifs possibles de nullité d’un brevet, au regard du droit français.
L’importance qui lui est accordée, à juste titre, résulte de l’origine et du principe même du droit des brevets.
En effet, le monopole temporaire dont bénéficie l’inventeur (ou son ayant-droit) de par sa demande de brevet ou son brevet, est accordé en contrepartie d’une divulgation de l’invention, telle que cette dernière puisse être utilisée et mise en œuvre par d’autres, une fois que le titre est déchu.
L’article du CPI ci-dessus fait référence à « l’homme du métier ». Ce personnage, qui est une fiction, est considéré comme compétent dans son domaine ou sa branche d’activité technique, sans faire preuve d’activité inventive. Il est sensé connaitre l’ensemble des techniques de l’art antérieur relatif audit domaine relevant de ses compétences.
Ainsi, l’homme du métier, à la seule lecture de la demande de brevet ou du brevet, doit pouvoir mettre en œuvre ou exécuter l’invention, à savoir réaliser le dispositif objet du brevet, ou mettre en œuvre le procédé décrit et revendiqué.
L’exercice est délicat, car il faut naviguer entre d’une part, l’intérêt du breveté qui est de ne pas divulguer dans ses moindres détails l’invention, et d’autre part, la sanction d’insuffisance de description.
Jusqu’où doit-on aller dans les détails de la description d’une invention pour satisfaire à ces deux contraintes contradictoires ?
L’arrêt suivant donne des éléments de réponse à cet égard : Cour de cassation, ch. com., 13 novembre 2013, pourvois P/2012/14803 et R/2012/15449 ; B20130233.
Dans cette affaire, de manière classique, un breveté fait valoir ses droits auprès d’une société considérée comme contrefaisant son brevet et cette dernière se défend en attaquant le brevet en question.
Le défendeur se pourvoit en cassation et invoque, entre autres moyens de nullité du brevet, l’insuffisance de description qui seule ici nous intéresse.
Pas moins de cinq arguments relatifs à cette cause de nullité sont alors invoqués, desquels nous retiendrons deux, dignes d’intérêt.
Le premier argument du demandeur à la cassation (condamné par la Cour d’appel) est particulier, voire original.
Ce dernier, s’appuyant sur le fait qu’un brevet français issu d’un brevet européen délivré a les mêmes effets qu’un brevet national, considère que « les autorités judiciaires françaises sont juges des décisions de l’office européen des brevets (OEB) ». Le demandeur s’étonne alors que la Cour d’appel ait écarté le moyen de nullité pour insuffisance de description, au motif que l’OEB n’avait émis aucune objection à cet égard.
La Cour de cassation balaye cet argument en le considérant simplement comme surabondant, sans même s’y arrêter.
On ne peut qu’approuver cette position de la Cour, sur le principe, les magistrats français n’étant pas liés par les décisions ou opinions de l’OEB.
Dans son second argument, le défendeur reproche à la Cour d‘appel d’avoir « statué par simple affirmation » en ne faisant qu’énoncer que : « l’homme du métier trouvait dans la description les caractéristiques indispensables à l’exécution de l’invention, sans préciser ces caractéristiques, ni le passage de la description qui les contenait. ».
En d’autres termes, le défendeur se réfère au terme « exposer » de l’article ci-dessus visé, en considérant que les passages du brevet (qui permettent de mettre en œuvre l’invention) auraient dû être spécifiquement indiqués et mentionnés par la Cour d’appel.
La Cour de cassation confirme l’opinion des magistrats d’appel, en considérant « que l’homme du métier est à même de trouver dans la description les caractéristiques indispensables à l’exécution de l’invention […] pour parvenir, soit empiriquement par tâtonnements, soit par simulation numérique » à la caractéristique revendiquée.
Ainsi, les magistrats considèrent que l’homme du métier peut exécuter l’invention, même s’il ne trouve pas directement dans la demande de brevet ou le brevet les moyens permettant d’aboutir à la caractéristique revendiquée.
La description est donc considérée comme suffisante, si l’homme du métier, en exerçant ses connaissances et le principe de recherche par itération (tâtonnement) ou par simulation numérique, peut aboutir à la caractéristique revendiquée.
Incidemment, à noter que la formule mathématique permettant cette détermination a été révélée postérieurement au dépôt de la demande de brevet, les magistrats considérant que l’homme du métier n’avait pas eu besoin de cette formulation mathématique pour aboutir au résultat souhaité.
Cette décision permet de préciser encore un peu mieux non seulement la notion d’insuffisance de description mais encore celle de l’homme du métier.
Elle devrait contribuer à éclairer les rédacteurs de demande de brevet, qui doivent naviguer entre plusieurs écueils, et dont tout faux pas peut être sanctionné par la nullité du brevet.