La décision UPC_CFI_ 216/2023 apporte un éclairage sur les motifs permettant de statuer sur une demande d’ordonnance de production de preuves (Règle 190 RdP) concernant des accords de licence FRAND (de l’anglais « Fair, Reasonable And Non Discriminatory ») conclus entre le plaignant et des tiers.
Plus particulièrement, dans le cas d’espèce le plaignant est le titulaire de différents brevets déclarés essentiels aux standards cellulaires 3G et 4G. A ce titre, le plaignant a conclu différents accords de licence FRAND avec des tiers.
Par ailleurs, les défendeurs, contrefacteurs présumés de brevets essentiels du plaignant, argumentent qu’ils n’ont pu accepter jusqu’alors les propositions de licences du plaignant car ces dernières ne respectent pas les critères FRAND. A ce titre, les défendeurs ont déposé une demande d’ordonnance de production de preuves en vertu de la Règle 190 RdP ayant pour objet, entre autres, tous les accords de licence conclus par le plaignant avec des tiers concernant ses brevets déclarés essentiels aux standards cellulaires 3G et 4G.
Dans la présente décision UPC_CFI_ 216/2023, la division locale de Mannheim statue sur cette demande d’ordonnance en appuyant en grande partie sa décision sur la jurisprudence établie par la CJUE au sujet des pratiques commerciales appliquées aux licences FRAND.
Plus particulièrement, la division locale rappelle tout d’abord qu’en raison des obligations du titulaire d’un brevet essentiel à une norme en vertu du droit de la concurrence de l’UE, le titulaire est tenu, selon la jurisprudence de la CJUE, de soumettre une offre de licence écrite spécifique à des conditions FRAND et, en particulier, d’indiquer le montant des redevances et la manière dont il est calculé (CJUE Huawei v. ZTE, ECLI:EU:C:2015:817 para. 63). Cependant, cette obligation n’existe que si le contrefacteur a préalablement exprimé son intention de conclure un accord de licence à des conditions FRAND (CJUE loc. cit.).
La division locale en déduit deux conséquences pour le cas d’espèce.
Premièrement, l’ordonnance de production des preuves pourrait être inappropriée si les contrefacteurs présumés étaient jugés comme n’étant pas disposés à conclure un accord de licence dès le départ. Dans ce cas, on ne comprendrait pas pourquoi les contrefacteurs devraient avoir accès aux pratiques du titulaire en matière de licences.
Deuxièmement, la portée d’une ordonnance de production des preuves doit être décidée en tenant compte du devoir de transparence du titulaire des brevets essentiels dans les négociations, tel qu’il a été établi par la CJUE. Plus particulièrement, pour l’explication de la méthode de calcul de la redevance de licence exigée par la CJUE, la simple attribution des facteurs mathématiques sous-jacents du calcul ne suffit pas. Au contraire, le ratio auquel la CJUE se réfère doit être rendu transparent quant à la raison pour laquelle le détenteur des brevets essentiels estime que l’offre qu’il soumet aux contrefacteurs présumés remplit les conditions FRAND. La justification nécessaire peut être fournie, par exemple, en se référant à une pratique de licence déjà établie sur le marché sous la forme d’un programme de licence standard. Si un tel programme n’existe pas, des accords de licence individuels spécifiques peuvent servir de référence si le titulaire explique pourquoi il estime que ces accords peuvent servir de point de référence approprié par rapport au contrefacteur présumé.
Dans le cas d’espèce, la division locale rappelle que lors des négociations le plaignant s’est essentiellement référé à deux contrats de licence, qu’il a entre-temps soumis dans le cadre de la procédure. Les défendeurs se sont également référés à deux contrats, qu’ils ont également soumis dans le cadre de la procédure. Toutefois, jusqu’à présent dans la procédure, les défendeurs n’ont pas fait valoir de manière suffisamment substantielle qu’il existe au moins une présomption suffisamment concrète que le plaignant a effectivement conclu d’autres contrats avec des tiers qui peuvent servir de base à un règlement amiable.
La division locale en déduit qu’il ne semble pas nécessaire, compte tenu de l’obligation de transparence découlant du droit communautaire, d’ordonner la présentation de tous les contrats de licence anonymes relatifs au portefeuille 3G et/ou 4G du plaignant.
Le principe de proportionnalité et la nécessaire prise en compte des intérêts des tiers qui, en tant que partenaires contractuels des accords de licence, peuvent également avoir des intérêts dans la protection des secrets d’affaires et qui doivent être pris en compte lors de la décision sur l’ordre d’envoi, s’y opposent également.
La division locale se réfère par ailleurs aux « pratiques commerciales reconnues » dans le domaine concerné, que la CJUE a également placées au cœur de son programme de négociation. Plus particulièrement, dans le cadre d’une négociation concernant une licence FRAND, les parties doivent se limiter à un nombre gérable d’accords de licence au cours des négociations. Dans le cas contraire, les négociations seraient surchargées d’une quantité de faits qui ne permettraient pas aux négociations commerciales de progresser en temps voulu.
Dans le cas d’espèce, la division locale rappelle qu’aucune preuve suffisante n’a été apportée que le plaignant dispose d’autres contrats de licence que les parties pourraient utiliser judicieusement pour conclure une licence FRAND. En effet, il appartient en premier lieu au plaignant de décider s’il soumet dans la procédure des contrats de licence afin de contrer une éventuelle objection FRAND des défendeurs et de qualifier son comportement de conforme au droit communautaire en la matière. Des conséquences juridiques ne pourraient être tirées que s’il s’avérait, par exemple, dans le cadre d’une procédure, qu’un détenteur de brevets essentiels n’a délibérément pas produit certains contrats de licence afin d’imposer des licences excessives en tirant parti de sa position de monopole.
Ainsi, au moins pour les motifs exposés ci-dessus en lien avec le droit communautaire appliqué aux licences FRAND, la division locale de Mannheim rejette la demande des défendeurs d’ordonnance de production de preuves selon la Règle 190 RdP.
Par Pierre BAUDIN