Une marque représentée par une lettre stylisée et intégrée dans la forme d’un produit peut-elle constituer un usage du signe à titre de marque ?
Le 6 septembre 2024, la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a rendu sa décision dans le cadre d’un litige opposant la société Hermès International (ci-après la « Titulaire ») à un citoyen allemand, Markus Bennemann (ci-après le « Demandeur »).
Cette décision est particulièrement intéressante en ce qu’elle reconnaît que l’intégration d’une marque, en l’occurrence une lettre stylisée, dans la forme d’un produit constitue un usage du signe à titre de marque au sens de l’article 18, paragraphe 1, du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne (RMUE)
Les faits
La procédure en question avait débuté en juin 2022, lorsque le Demandeur a introduit une action en déchéance visant l’enregistrement international désignant l’UE « » n° 1325552 (ci-après la « marque contestée »). Plus précisément, le Demandeur soutenait que cette marque n’avait pas fait l’objet d’un usage sérieux pour l’ensemble des produits désignés en classe 25, à savoir :
« Vêtements pour hommes, femmes et enfants, bottes, souliers, pantoufles, accessoires vestimentaires pour hommes, femmes et enfants, à savoir chapeaux, casquettes, bonnets, gants (habillement), cravates (habillement), foulards, carrés de poche, écharpes, châles, chaussettes, bas, collants, bretelles, anneaux de foulards ».
Dans sa décision, la Division d’annulation avait accueilli la demande en déchéance en considérant que les preuves fournies par la Titulaire n’étaient pas suffisantes pour démontrer un usage sérieux de la marque contestée pour l’ensemble des produits désignés. En particulier, elle avait conclu à un manque total de preuves pour la majorité des produits, et, pour d’autres produits, elle avait jugé que les preuves montraient un usage altéré de la marque ou ne prouvaient pas son usage en tant que marque. En effet, selon la Division d’annulation, le signe était intégré dans la forme des produits ou de leurs parties, et n’était donc pas apte à remplir la fonction d’identité d’origine des produits désignés.
Face à cette décision, la Titulaire a formé un recours en janvier 2024, en demandant que celle-ci soit annulée dans son intégralité.
La décision
La deuxième chambre de recours de l'EUIPO devait déterminer si les preuves fournies par la Titulaire étaient aptes à démontrer un usage sérieux de la marque contestée pour les articles vestimentaires désignés en classe 25 et précisés ci-dessus.
Tout d’abord, elle devait déterminer si les preuves d’usage pour les tee-shirts et sweat-shirts démontraient l’usage de la marque telle qu'enregistrée ou sous une forme qui n’altère pas son caractère distinctif.
La chambre de recours a rapidement tranché cette question, estimant que l’ajout d’éléments au signe « », tels que des lignes sur les manchons des tee-shirts et sweat-shirts comme dans les exemples ci-dessous, n'altère pas le caractère distinctif du signe, qui reste clairement reconnaissable.
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Ensuite, la chambre de recours devait établir si l’usage de la marque comme forme d’un produit ou partie de la forme d’un produit, et plus particulièrement sous forme d’anneaux de foulards ou comme partie supérieure de sandales, constituait un usage à titre de marque, à savoir un usage permettant de garantir l’identité d’origine de ces produits.
A cet égard, il est important de préciser que la Titulaire intègre depuis de nombreuses années la marque contestée dans différents modèles de sandales, dont les modèles Izmir, Oran et Antigua, emblématiques et fortement distinctifs de la maison Hermès :
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Le Demandeur faisait valoir qu’un tel usage ne constitue pas un usage en tant que marque, étant donné que les consommateurs percevraient la lettre « H » intégrée dans la forme des sandales comme un simple élément décoratif constitué de deux lanières reliées au centre, plutôt que comme un identifiant de l’origine des produits. En d’autres termes, d’après le Demandeur, la seule présence de la lettre « H » ne permettrait pas aux consommateurs d’associer les sandales à la maison Hermès.
De son côté, la Titulaire avait fourni des études de marché réalisées en mars 2024 dans lesquelles une grande partie des répondants avait indiqué que la forme de la lettre « H » était le principal élément d’identification des sandales « Oran », « Izmir » et « Chypre » comme provenant de la Titulaire. En outre, la Titulaire ajoutait que l’intégration de marques dans la forme des sandales, notamment au niveau de la partie supérieure, est une pratique courante dans l’industrie du luxe, et que les consommateurs ont par conséquent tendance à distinguer l’origine commerciale de ces produits en fonction de cet élément.
Pour les mêmes raisons évoquées ci-dessus, la Titulaire faisait également valoir que l’usage suivant pour les anneaux de foulards constituait un usage en qualité de marque :
Dans sa décision, la chambre de recours a accepté l'argumentation de la Titulaire. Tout d’abord, elle relève qu’il y a lieu de reconnaître un certain degré de caractère distinctif à la marque contestée, notamment en raison de son enregistrement. Elle continue en ajoutant que, bien qu’un signe puisse être utilisé en tant qu’élément décoratif et non-distinctif, les preuves produites par la Titulaire, y compris les études de marché susmentionnés, prouvent que tel n’est pas le cas en l’espèce, et qu’en tout état de cause le Demandeur n’a pas su prouver le contraire.
Ainsi, selon la chambre de recours, il peut être déduit avec certitude qu’au moins une partie non négligeable du public pertinent s’attend à ce que les marques soient intégrées dans la partie supérieure des sandales. Par conséquent, l’intégration d’une marque dans la forme des sandales peut constituer un usage en tant que marque au sens de l’article 18, paragraphe 1 du RMUE.
De manière similaire, en ce qui concerne l’usage pour les anneaux de foulards, la chambre de recours considère que les preuves fournies démontrent un usage du signe en tant que marque.
En conclusion
La décision en question montre d’une part comment l'usage d'une marque sous une forme légèrement modifiée, sans altérer son caractère distinctif, peut valider l’usage de la marque telle qu’enregistrée conformément à l'article 18, par. 1 du RMUE. L’EUIPO fournit ainsi un exemple de modification, en l’espèce l’ajout de lignes prolongeant le signe, jugée sans impact sur le caractère distinctif du signe. Bien que la jurisprudence de l'EUIPO abonde d'exemples de ce type, il est toujours encourageant de constater que l'Office continue de comprendre les dynamiques du marché et les besoins commerciaux des titulaires de marques, en reconnaissant leur nécessité d'apporter de légères variations à leurs marques dans la vie des affaires.
Sur ce point, dans la même lignée que la décision en question, la première chambre de recours de l’EUIPO a récemment jugé, dans une action en déchéance contre la marque de l’Union européenne « » No. 010612241 détenue par la société Prada, que la marque avait bien été utilisée sous la forme sous laquelle elle est enregistrée, malgré l’omission d'une des lignes constituant le triangle 1.
D’autre part, l’apport le plus intéressant de la décision commentée est la reconnaissance que l'usage d'une marque en tant que forme d’un produit ou d’une partie de celui-ci peut être considéré comme un usage à titre de marque au sens de l’article 18 par. 1 du RMUE. Cette reconnaissance revêt une importance particulière dans l’industrie de la mode, où les marques sont souvent intégrées aux produits.
La décision constitue également une excellente nouvelle pour les marques atypiques, telles que celles formées d’une lettre stylisée comme dans le cas d’espèce, qui sont difficiles à protéger et dont le caractère distinctif est souvent ardu à démontrer.
Cela dit, l’impact de cette décision mérite d’être nuancé. En effet, la reconnaissance d’une marque par les consommateurs ne peut pas être présumée, et repose sur la capacité de fournir des éléments probants de qualité, permettant de démontrer son caractère distinctif et de l’associer ainsi à l’opérateur économique qui en est à l’origine, même lorsqu’elle est intégrée aux produits comme dans le cas d’espèce. Dans ce cadre, les sondages d’opinion et études de marché, à l’instar de ceux présentés par Hermès dans cette affaire, peuvent constituer des preuves solides de la reconnaissance d’une marque par les consommateurs.
EUIPO, 2ème ch. recours, 6 septembre 2024, Hermès International v. Markus Bennemann, R 192/2024-2
Par Elia CHIAPPINI
1. EUIPO, 1ère ch. recours, 30 octobre 2024, Prada SA v. Erickstyle S.r.l., R 815/2024-1