Bon nombre d’entre nous serait loin d’imaginer que Chypre, pays membre de l’Union européenne, recèle certaines subtilités en droit des marques. En effet, le territoire chypriote est divisé en deux parties, et le droit des marques n’échappe pas à cette dichotomie. Quelques règles de bonne pratique s’imposent.
Chypre, comme sa capitale « Nicosie » comprend deux zones bien distinctes: i) la partie grecque correspondant globalement au sud de l’île appelée « République de Chypre » et ii) la partie turque communément appelée «the Turkish Republic of Northern Cyprus » (TRNC en anglais) ou « République turque de Chypre du Nord » (RTCN en français) située au Nord de l’île. Chaque protection à titre de marque est spécifique et distincte sur chacune de ces deux parties de territoire.
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La partie grecque de l’île de Chypre : Le Sud
- Cette partie de l’île fait partie de l’Union Européenne (UE). Elle est donc naturellement protégée par les marques de l’Union Européenne (MUE). Chypre étant un pays signataire de l’Union de Madrid, ce territoire peut également être désigné par une marque Internationale (IR), soit en ce qu’elle vise Chypre soit en ce qu’elle couvre une MUE (ou les deux). Enfin, le troisième système de protection à titre de marque possible pour couvrir cette zone concerne la marque nationale de la République de Chypre à déposer auprès de l’Office National des Marques, le « Department of Registrar Companies and Official Receiver of the Republic of Cyprus » (R.C.O.R.). Toutes ces marques ne couvrent que la partie grecque de Chypre excluant ainsi toute protection sur le nord de l’île, occupée « illégalement » par les turcs, appelée « the Turkish Republic of Northern Cyprus », qui n’est ni reconnue par les autorités locales, ni par les instances internationales comme les Nations Unies.
- Il est aussi à rappeler que la loi de 2020 portant modification de la loi sur les marques (loi n°63 (I) de 2020) [1] est entrée en vigueur le 12 juin 2020 à Chypre et a apporté plusieurs modifications en vue de son harmonisation avec la Directive (UE) n°2015/2436 sur la partie grecque de l’île, comme (a) la création de marques multi classes, (b) la durée d'enregistrement de la marque qui passe de 7 à 10 ans à compter de la date de dépôt ou encore (c) l’introduction d’une nouvelle définition de la marque pour inclure notamment les marques de couleur ainsi que les marques sonores.
- Les licences de marques sur la partie grecque de l’île requièrent certaines précautions également. Les licences de marques sont à inscrire auprès de chaque office compétent : l’Office National (R.C.O.R.) pour la marque nationale, l’EUIPO pour les marques de l’UE et enfin l’OMPI s’il s’agit d’une marque internaltionale (IR).
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La partie nord de l’île détenue par les autorités turques:
- Cette partie de l’île bénéficie d’un système de protection au titre des marques qui est indépendant de la partie grecque de l’île de Chypre et qui relève d’un office ad hoc. Autrement dit, les enregistrements chypriotes (partie grecque) tels que mentionnés plus hauts (EUTM/ IR ou marque nationale sur la République de Chypre) ainsi que les marques turques, sont sans effet juridique sur cette partie de l’île. Il convient donc de déposer une marque dans cette zone pour obtenir une protection sur cette partie nord de l’île.
- Le bureau d'enregistrement local du nord de l’île ( le « Department of the Official Receiver & registrar » de TRNC) est situé à Lefkoşa (Nicosie en français), la capitale de l’île dont la partie nord est sous dominance turque. Dans le système actuel de cette zone, il n’a pas été établi de règles juridiques régissant l'enregistrement des marques de service (emblèmes) utilisées pour des services (tels que les banques, les assurances, les hôtels, les motels, les services, etc.) . Seuls les enregistrements de marque de produits seraient possibles sur cette partie de l’île. La législation en vigueur dans cette partie de territoire, n’accorde donc pas de protection aux marques de services (allant des classes 35 à 45) en tout cas pas par un enregistrement à titre de marque.
- Pour les marques de produits (allant des classes 01 à 34), il est à noter qu’il serait possible de revendiquer une ancienneté (à étudier au cas par cas). Le système est celui des dépôts mono-classe, c’est-à-dire une marque par classe de produits à revendiquer.
Conclusion : avant d’opérer à Chypre il convient, pour chaque client, de bien étudier ses zones d’implantation commerciale afin de déterminer avec exactitude l’étendue de protection dont il a besoin à titre de marque sur ce territoire, divisé en deux parties, et de procéder aux dépôts de marque complémentaires le cas échéant. Aussi pour opérer dans le sud de l’île, un dépôt EUTM sera très souvent suffisant. En revanche, une protection additionnelle au nord de l’île peut aussi faire sens, même en l’absence d’une activité à développer dans cette zone, ne serait-ce que pour se prémunir d’un usage illicite d’un tiers malveillant, attiré par le lancement d’une nouvelle activité, générant une certaine notoriété dans le sud de l’île et dont le seul but serait d’en tirer profit dans la zone turque. Si ce cas de figure se présentait, une réaction serait probablement compliquée à mettre en œuvre, à défaut de droit de marque à opposer dans cette zone du nord, à supposer qu’il s’agisse d’un lancement de produit, car les marques de services sont, pour l’instant, refusées à l’enregistrement dans la partie turque. A noter que les noms de domaine géographiques (ccTLD) ne semblent pas faire de distinguo entre les deux zones de l’île : les extensions en <.cy> ou encore <.com.cy> couvrent les deux parties du territoire chypriote. |
[1] Loi de 2020 portant modification de la loi sur les marques (loi n° 63 (I) de 2020) https://www.wipo.int/news/fr/wipolex/2020/article_0014.html