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Plusieurs pays riches en biodiversité (Inde, Chine, Brésil, Afrique du Sud, etc.) luttent contre la biopiraterie en régulant l’accès aux ressources génétiques présentes sur leurs sols et le partage des avantages qui en découlent, et en exigeant des déposants de brevets qu’ils divulguent l’origine des ressources et connaissances traditionnelles associées impliquées dans leurs inventions. Des bases de données dédiées aux ressources génétiques et savoirs endémiques sont en outre mises à disposition des Examinateurs de brevets de ces pays, dans le but de promouvoir la délivrance de brevets plus éthiques et robustes. Ces mesures juridiques nationales sont cependant disparates et n’existent pas au sein des Etats occidentaux, pourtant grands déposants des brevets. Dans ce contexte, un Traité international vient néanmoins d’être approuvé par les 193 Etats membres de l’OMPI – dont les Etats-Unis, le Canada et de nombreux pays européens - pour imposer certaines de ces pratiques à un plus grand nombre d’Etats, et ainsi favoriser une protection éthique et transparente des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées par la propriété intellectuelle. Le présent article explique les principales dispositions de ce Traité qualifié d’« historique ».

La « Coalition contre la biopiraterie »[1] définit la biopiraterie comme « l’appropriation – en général par des droits de propriété intellectuelle – de ressources génétiques, de connaissances et de cultures traditionnelles appartenant à des Peuples ou des communautés paysannes qui ont développé et amélioré ces ressources. La biopiraterie inclut la bioprospection, les brevets sur le vivant (gènes et molécules) et la commercialisation des connaissances culturelles » (Horizon IRD, « La biopiraterie, entre illégalité et illégitimité », C. Aubertin et C. Moretti, 2005). Le fait que des brevets puissent être obtenus sur des ressources génétiques endémiques, empêchant (du moins en théorie) les communautés locales de les utiliser à des fins commerciales à leur profit, est souvent décrié par les réseaux d’activistes, en témoigne le « prix du Capitaine Crochet »[2] qui « récompense » les pays et les entreprises responsables des plus grands actes de « biopiraterie ».

Lois nationales contre la biopiraterie

Dans ce contexte tendu, plusieurs pays riches en biodiversité ont mis en place des lois nationales encadrant l’accès aux ressources génétiques prélevées sur leur sol et le partage des avantages qui en découlent (ci-après lois « APA »), de sorte à garantir le respect des droits souverains des détenteurs et des peuples autochtones sur leurs ressources génétiques et à respecter les objectifs de développement durable et d’utilisation éthique de ces ressources[3]. Ces lois reposent généralement sur le principe de consentement libre et préalable en connaissance de cause et sur des conditions d’accès aux ressources convenues d’un commun accord avec le pays source et/ou les communautés détentrices de la ressource.

En France, la loi n°2016-1087 pour la Reconquête de la Biodiversité, de la nature et des paysages est entrée en application le 1er juillet 2017, imposant des procédures de déclaration et d’autorisation contraignantes pour toute entité souhaitant utiliser – à des fins commerciales ou non - des ressources génétiques prélevées sur le territoire français (en métropole ou en outre-mer). Dans le cas où un développement commercial est prévu, un contrat de partage des avantages[4] doit être établi entre l’utilisateur et le ministère chargé de l’Environnement, afin d’assurer un juste partage entre les fournisseurs et les utilisateurs des ressources, ainsi qu’une conservation et utilisation durable de la biodiversité française.

En parallèle de ces lois nationales concernant l’accès aux ressources, des lois nationales régissant le droit des brevets ont été mises en place dans plusieurs pays pour faciliter l’identification de situations de biopiraterie. Ces pays exigent désormais que soient mentionnées dans les demandes de brevet - ou fournies aux Offices lors du dépôt des demandes de brevets - les informations administratives relatives à l’origine et/ou à l’agrément des ressources génétiques (RG) utilisées dans l’invention au regard des lois locales sur la biodiversité (par exemple, l’origine ou la source de la RG, l’existence d’autorisations nationales et/ou de contrats de partage des avantages en régulant l’accès, etc.). Ces informations, présentes dans le texte de la demande telle que déposée ou dans un document annexe fourni lors du dépôt, sont publiées avec la demande 18 mois après son dépôt, et sont donc aisément contrôlables par les tiers. 

Grâce à ces dispositions légales et à la nécessaire publication de toute demande de brevet 18 mois après son dépôt, le système des brevets est un bon moyen pour faire connaitre et tracer les inventions impliquant des ressources génétiques, au contraire des démarches de R&D impliquant des ressources et des expérimentations dont la nature est conservée secrète.

  

Des bases de données au service des Examinateurs de brevet

Les Examinateurs des offices de brevet utilisent de plus en plus les informations contenues dans les bases de données nationales relatives aux ressources génétiques endémiques (voir leur liste à l’adresse : https://www.wipo.int/tk/fr/resources/db_registry.html).  Grâce à elles, les Examinateurs ont accès rapidement aux documents décrivant l’utilisation antérieure d’une ressource par des populations locales ce qui leur permet, le cas échéant, de conclure que l’invention ne remplit pas le critère de nouveauté et/ou d’activité inventive[5]. Le système des brevets en est amélioré, réduisant le nombre de brevets délivrés « par erreur », par exemple lorsqu’une ressource avait déjà été utilisée localement dans le but revendiqué.  

Le système des brevets est en outre un outil primordial pour générer de la valeur commerciale à partir d’une ressource génétique, et promouvoir le développement économique non seulement des utilisateurs de cette ressource, mais également, s’il existe un contrat de partage des avantages établi en vertu d’une loi APA régulant l’accès à cette ressource, du pays fournisseur ou du détenteur initial de la ressource. 

Les Etats et leurs Offices de brevet ont donc tout intérêt à promouvoir la création des bases de données stockant les données relatives aux ressources génétiques, et à ainsi permettre la délivrance de brevets plus robustes et donc plus utiles aux déposants, et inversement à éviter la valorisation des ressources génétiques par des contrats ou par le savoir-faire, souvent tenus secrets. 

 

Lois nationales encadrant les obligations de divulgation

En l’absence de cadre international, les lois nationales de brevet encadrant les obligations de divulgation des ressources génétiques dans les demandes de brevet ont considérablement varié, tant dans la nature des informations à fournir (source de la RG, son origine géographique, son statut légal, son numéro d’agrément, le contrat qui en régule l’accès, etc.), que dans les sanctions en cas de manquement à ces obligations. Par exemple, certains pays proposent que, lorsqu’un déposant ne peut fournir la preuve du respect des exigences relatives à l’accès aux ressources, aucun brevet ne puisse lui être accordé (exigence à remplir notamment au Brésil, en Inde, en Chine ou en Afrique du Sud). D’autres pays ont également prévu que ce critère puisse être utilisé comme motif d’opposition ou d’annulation (Afrique du Sud, Inde).

Au total, une trentaine de pays impose aujourd’hui des obligations de divulgation relatives à l’origine des ressources génétiques ou des connaissances traditionnelles impliquées dans les inventions. Ces mesures sont à prendre en compte essentiellement lors du dépôt de demandes nationales par voie directe, mais certains pays les appliquent également aux demandes nationales issues des demandes PCT.  Une base de données publique contenant les textes législatifs nationaux consacrés aux exigences de divulgation relatives aux RG et aux savoirs traditionnels est tenue à jour par le Secrétariat de l’OMPI.

En 2002, un Comité Inter-Gouvernemental dédié (IGC), composé de représentants des 193 États membres de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), d’organisations non gouvernementales et d’un groupe d’experts ad hoc, a été créé. Pendant 20 ans, ces membres et experts se sont réunis pour recenser les besoins, les problématiques et les opinions (divergentes ou convergentes) des Etats membres sur ce sujet. Leurs travaux ont permis d’établir les termes d’un traité international qui pourraient convenir aux 193 Etats membres, afin i) d’améliorer l’efficacité, la transparence et la qualité du système des brevets vis-à-vis des ressources génétiques et connaissances traditionnelles associées, ii) de protéger la biodiversité et iii) de faire respecter les droits des Etats et des peuples autochtones sur leurs ressources et savoirs traditionnels.

 

Mai 2024 : signature du Traité de l’OMPI sur la propriété intellectuelle, les ressources génétiques et les savoirs traditionnels associés.

Lors de la dernière conférence diplomatique qui s’est tenue à Genève du 13 au 24 mai 2024, le « Traité sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques » a été approuvé par tous les Etats membres de l’OMPI, y compris ceux qui (comme les Etats-Unis) n’ont pas ratifié le Protocole de Nagoya ou la Convention sur la Diversité Biologique (CBD). Selon Pascal Faure, Directeur général de l’INPI, « cet accord international sur la propriété intellectuelle, les ressources génétiques et les savoirs traditionnels est une avancée majeure. Après plusieurs décennies de travail et de discussions, la conférence diplomatique organisée par l’OMPI a permis de conclure un traité historique ».

Lorsqu’il entrera en vigueur, ce Traité obligera les Etats contractants à imposer aux déposants de demandes de brevet dont l’invention est « basée sur » une ressource génétique ou un savoir traditionnel associé à en divulguer l’origine (i.e., le lieu où la ressource a été prélevée in situ ou la communauté qui a fourni le savoir) ou, si celle-ci n’est pas connue, sa source (i.e., l’organisme qui l’a fournie aux inventeurs) (Article 3.1). Si aucune de ces deux informations n’est connue, alors il sera possible de le déclarer, en toute bonne foi (Article 3.3.). Les informations résultant de cette « obligation de divulgation » devront être rendues disponibles et accessibles aux Examinateurs de brevet, aux administrations nationales en charge de leur gestion, et à tout tiers intéressé par ces sujets (Article 3.6).

Les Etats contractants devront par ailleurs établir des bases de données recensant les informations techniques émanant des Communautés locales et indigènes, et en fournir l’accès aux Examinateurs des Offices de brevet (Article 6). Il est prévu que l’OMPI mette ensuite en place un système de recherche rapide et transversal dans l’ensemble de ces bases de données, pour faciliter l’identification d’éventuelles utilisations antérieures lors de l’examen des demandes de brevet et ainsi empêcher la délivrance de brevets « indus ».

Le but de ces mesures est de forcer les Etats membres de l’OMPI à mettre en place une interface efficace et transparente entre les Offices de brevets et les autorités nationales compétentes en matière d’accès et de partage des avantages.

Nous vous fournissons ci-après quelques précisions sur les modalités de mise en œuvre de ce Traité.

Où et quand fournir ces informations ?

Le Traité ne précise pas sous quelle forme les informations devront être fournies à l’Office de brevet réceptionnant la demande. En fait, d’après l’Article 3.4., chaque Etat contractant pourra imposer son propre formalisme. Il est possible qu’à terme, le règlement d’exécution du PCT soit modifié de sorte à permettre que les informations requises puissent être fournies dès le dépôt d’une demande PCT, avec effet dans tous les Etats du PCT, sans avoir à réitérer de démarche lors des entrées en phases nationales (voir la note de bas de page n°4, au regard de l’article 7 du Traité).

 

Qui sera concerné ?

L’obligation de divulgation concernera tous les déposants souhaitant obtenir un brevet dans un pays contractant, dès lors qu’une ressource génétique[6] ou une connaissance traditionnelle associée est nécessaire pour mettre en œuvre l’invention revendiquée. En revanche, l’obligation de divulgation ne devrait pas s’appliquer aux ressources uniquement utilisées comme « matériau de recherche » (sous réserve qu’elles ne soient pas requises pour cette mise en œuvre). Reste à savoir si cette obligation s’étend également aux inventions basées sur des séquences identifiées dans des bases de données in silico (i.e., sans utiliser physiquement de ressource). Il semble que les Etats contractants pourront légiférer différemment sur ce point.

 

Quelles sanctions sont prévues en cas de manquement à cette obligation ?

Le Traité prévoit que des sanctions « appropriées, efficaces et proportionnées » seront imposées en cas de non-divulgation par les Etats eux-mêmes (Article 5). Ces sanctions peuvent être par exemple des amendes, des retards de délivrance, voire le rejet d’une demande, en fonction des dispositions nationales. Cependant, les Etats ne pourront pas prévoir de révoquer ou de rendre non-opposable un brevet délivré pour cette simple raison (Art.5.3.). Une exception sera faite si une intention frauduleuse peut être prouvée, car dans ce cas un brevet pourra être révoqué (Art.5.4).

 

Quand ce Traité rentrera t’il en vigueur ?

Le Traité entrera en vigueur 3 mois après que 15 Etats signataires auront déposé leurs instruments de ratification ou d’adhésion (Article 17). Le Traité sera alors liant uniquement pour ces 15 Etats contractants, et pour tout autre Etat qui ratifierait ou accéderait au Traité par la suite (Article 18).  Une clause de non-rétroactivité est prévue, de sorte que seules les demandes de brevet déposées après cette entrée en vigueur seront concernées par l’obligation de divulgation décrite ci-dessus.

Pour tenir les promesses de cet évènement historique, les Etats membres de l’OMPI devront donc dans les prochaines années travailler avec les Offices nationaux de propriété industrielle pour mettre en place une « obligation de divulgation » de l’origine et/ou de la source des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées, et les bases de données requises, conformément aux exigences du Traité qu’ils ont approuvé. Les premiers Etats qui ratifieront le Traité seront sans doute ceux ayant déjà mis en place des exigences de divulgation et des sanctions appropriées. Pour les autres (dont la France et de nombreux autres pays occidentaux), la ratification aura lieu lorsque leur législation brevet se sera adaptée à cette nouvelle exigence.

Dans la mesure où de nombreux points seront laissés à la discrétion des Etats contractants, l’entrée en vigueur de ce nouveau Traité aura moins pour effet d’harmoniser les législations nationales déjà existantes que d’augmenter le nombre d’États exigeant la divulgation de l’origine / de la source des ressources génétiques et connaissances traditionnelles associées et favoriser l’établissement de bases de données les recensant. Ainsi, ce Traité fait surtout prendre conscience à de nombreux Etats n’ayant pas de loi APA de l’importance de tracer les ressources génétiques et connaissances traditionnelles associées et de mettre en place des mesures légales, administratives ou réglementaires concrètes à ce sujet.

La signature du Traité de l’OMPI sera en outre sûrement suivie pour les pays ayant déjà une loi APA (notamment la France) par des mesures imposant cette nouvelle obligation de divulgation dans le système des brevets.

Les Conseils en Propriété Industrielle de SANTARELLI group suivront bien entendu de près les annonces de l’INPI en la matière, ainsi que les exigences requises dans les autres pays, afin de pouvoir renseigner leurs agents en bonne et due forme lors du dépôt de brevets dans un autre pays contractant. 

 

 Par Gabrielle FAURE-ANDRE

 

[1] « Coalition Against Biopiracy » : Il s’agit d’un groupe informel composé d’ONG et emmené par ETC Group qui s’est formé en 1995 à l’occasion de la Conférence des Parties de Jakarta, et rassemble ceux qui, par idéologie, s’opposent à la brevetabilité du vivant et ceux qui, d’un point de vue économique, considèrent que ces droits sont des entraves à la recherche et au partage de la connaissance.

[2] « Captain Hook Awards for biopiracy »

[3] Document final de la Conférence mondiale sur les peuples autochtones, approuvé à l’unanimité en 2014 par les 193 Etats membres de l’Assemblée générale des Nations Unies (résolution A/RES/69/2 de l’Assemblée générale)

[4] Les termes de ce contrat sont à renseigner sur le document CERFA15785*02

[5] Une telle base de données existe en Inde sous le nom « TKDL ». Cette base contient 34 millions de pages d’informations formatées sur plus de 2 millions de formulations médicamenteuses sélectionnées dans le patrimoine des peuples indiens Ayurveda, Unani, Yoga et Siddha. Elle est utilisée par les Examinateurs de nombreux offices, tels que l’OEB et l’USPTO.

[6] Une « ressource génétique » est définie dans le Traité comme étant du « matériel génétique » issu d’une plante, d’un animal, d’un microbe, ou « de tout organisme contenant des unités fonctionnelles de l’hérédité » (excepté l’homme).

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