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En avril dernier, une lettre ouverte sur les dangers de l’Intelligence artificielle (ci-après « IA ») a été publiée par le Collectif Artists Rights aux Etats-Unis. Parmi les 200 musiciens signataires, de grandes stars internationales (dont Billie Eilish et Katy Perry), réagissent aux récentes séries de deepfake, créations musicales issues d’IA générative copiant le style d’artiste et reproduisant la voix d’autres. Ce collectif dénonce « un pillage organisé, quasi impossible à arrêter »[1].

Aujourd’hui l’IA générative permet, en seulement quelques clics, de créer de nouvelles compositions musicales presque sans limite. Ces algorithmes sont « éduqués » par l’intégration d’œuvres existantes, lesquelles sont ensuite réutilisées dans les nouvelles créations de l’IA, sans le consentement des artistes qui n’en reçoivent aucune rémunération. Google a par ailleurs annoncé la sortie d’une IA qui, liée à YouTube, permettrait à toute personne de créer des chansons à partir de voix d’artistes connus. Ces créations seraient, selon le géant d’internet, « légales » puisqu’elles porteraient la mention « inaudible » permettant de détecter qu’il s’agit là d’une création de l’IA[2].

D’un autre côté, la SACEM et la GEMA[3] alertent quant à elles sur les dérives et les dangers de l’entrée de ces algorithmes dans le secteur de la musique[4]. Ces organismes appellent à un nécessaire encadrement de l’IA avec le risque néanmoins d’en limiter l’usage et de surcroit l’innovation.

Quelles sont les solutions envisagées par le législateur et les praticiens du droit plus largement, pour intégrer l’IA dans le secteur de la musique tout en garantissant un équilibre entre droit d’auteur et innovation ?

 

  1. De l’encadrement de l’IA pour tenter de limiter ses dérives

Depuis 2021, le législateur européen travaille sur une réglementation spécifique de l’IA qui permettrait son intégration dans notre marché économique actuel. Un texte assez large a été adopté le 13 mars et aborde de nombreux sujets gravitant autour de cette nouvelle technologie[5]. Les députés français ont suivi cet élan en proposant en septembre 2023 un texte qui encadrerait l’IA par le droit d’auteur[6]. Cette loi viendrait renforcer des droits déjà existant comme le droit de paternité, et propose de nouvelles solutions comme la création d’une taxe directement reversée aux organismes promouvant la création artistique. Néanmoins, compte tenu de la lenteur du processus législatif d’un côté et de l’évolution exponentielle de l’IA de l’autre, ce texte sera amené à évoluer.  

Une partie de la doctrine suggère quant à elle de rendre applicable le droit commun prévu par le Code civil aux œuvres de l’IA et plus précisément, de permettre aux artistes d’obtenir réparation des préjudices subis pour agissements parasitaires d’une IA.[7]. Pour qu’une telle action soit recevable, la création musicale de l’IA devra se situer dans le monde des affaires, et l’artiste devra démontrer qu’il existe une faute, un préjudice et un lien de causalité en eux[8].

Les affaires de plagiats (parasitisme musical) sont nombreuses et complexes (et ce depuis bien avant l’IA), comme nous avons pu le découvrir avec les récentes affaires impliquant le chanteur international Ed Sheeran, dans lesquelles les juges ont peiné à évaluer l’originalité d’un accord musical [9]. L’art est par essence inspiré des courants qui l’ont précédé. Il semble difficile de mettre en pratique le régime du droit commun au secteur de la musique.

Une autre idée serait de créer de nouvelles exceptions au droit d’auteur, s’ajoutant à celles déjà prévues dans l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Déjà en 2019 une directive européenne[10] avait autorisé les éditeurs et utilisateurs d’outils web-scraping à extraire des œuvres et à les compiler dans des bases de données. L’objectif était de favoriser l’essor de l’IA tout en assurant une continuité dans la protection du droit d’auteur. En application de cette directive, le législateur français a intégré dans le Code de la propriété intellectuelle deux nouvelles exceptions de « fouille de texte » (data mining)[11].

L’intégration de l’IA par la voie légale est encore en discussion et évoluera en fonction de l’impact de l’IA dans la société. Cette technologie nouvelle est comparable pour certains à l’arrivée d’Internet. Ainsi, ne faudrait-il pas remettre en question la définition même du droit d’auteur ?

 

  1. Vers une réflexion sur l’évolution de la définition de l’auteur

Le droit d’auteur est, par essence, attribué à l’auteur d’une œuvre de l’esprit, par principe une personne physique, donc humaine, et par exception aux personnes morales dans le cadre particulier des œuvres collectives. Aucun texte de loi ne mentionne l’interdiction expresse d’accorder une protection par le droit d’auteur à une intelligence artificielle. Il semblerait cependant que le juge ne soit pas disposé à offrir une telle protection à une œuvre qui n’a pas été créée par un humain[12]. Même si les juridictions européennes ne se sont pas encore prononcées sur la question spécifique du secteur de la musique, les Etats-Unis nous offrent un début de réponse puisque le Juge Fédéral de Columbia a déjà considéré qu’une œuvre ayant été créée sans tutelle d’une main humaine ne peut être protégée par le droit d’auteur[13]. Il en demeure néanmoins qu’une personne physique pourra se voir attribuer un droit d’auteur lorsqu’elle utilise l’IA comme un outil d’assistance à la créativité[14].

La question se pose donc pour les œuvres qui seraient co-créées par un humain et une IA. En effet, l’IA pourrait être considérée comme un outil à part entière et ainsi permettre à son utilisateur de créer une œuvre de l’esprit telle que définie par le Code de la propriété intellectuelle. La réelle problématique serait alors de savoir sur quoi reposerait le critère d’originalité : le prompt ayant permis de créer l’œuvre ou l’œuvre en elle-même ? Il faudra attendre que le juge se prononce, probablement au cas par cas. Le droit d’auteur, issu du modèle français, étant par nature plus protecteur de l’auteur que le Copyright anglo-saxon, nous pourrions penser que les juges européens et français seront plus sévères pour accorder l’originalité à une œuvre créée à partir d’une IA. Il n’en demeure pas moins que le législateur devra sans doute se pencher sur une redéfinition du critère de l’originalité et de la notion d’auteur. 

 

  1. Pour tenter de rester dans la course mondiale à l’innovation

Dans notre société actuelle, l’innovation est largement mise en avant par les politiques qui encouragent les jeunes entreprises en leur accordant des facilités fiscales (comme avec l’impôt recherche et développement). Dans la course mondiale à l’intelligence artificielle, certains pays comme le Japon[15] ont déjà pris de l’avance, il reste néanmoins difficile de trouver un équilibre entre règle de droit et pratique innovante. Emmanuel Macron a d’ailleurs fait part de ses craintes quant à un cadre légal trop contraignant qui pourrait être un frein à l’innovation[16].

Le secteur de la musique a récemment connu de fortes évolutions avec l’apparition de nouvelles technologies comme l’auto-tune ou des logiciels de mastering, qui ont permis l’émergence de nouveaux artistes. Nous pourrions nous demander si l’IA ne serait finalement pas un nouvel outil qui permettrait aux musiciens et compositeurs d’évoluer dans une direction artistique innovante et une nouvelle pratique musicale.

Néanmoins, la SACEM et la GEMA ne sont pas de cet avis et, dans leur rapport publié en janvier 2024, offrent une analyse et une perception assez dangereuse de l’IA. Ce rapport indique notamment que plus de 70% des artistes sont inquiets de cet avenir avec l’IA. Pourtant, certains aspects de ce rapport sont assez positifs puisque 35% des artistes utilisent déjà l’IA, dont 51% ont moins de 35 ans[17]. Pour faire le parallèle avec un autre secteur artistique, la photographie a également connu sa révolution lors du passage de l’argentique vers le numérique. L’intégration de nouveaux outils a supprimé les aspects techniques, jusqu’alors critères pertinents dans l’appréciation de l’originalité d’une œuvre[18]. Face à ce bouleversement, le juge s’est néanmoins adapté et la qualification du droit d’auteur a été harmonisée aux nouvelles pratiques des photographes.

L’impact de l’IA dans le secteur de la musique est donc à relativiser compte tenu de la particularité de ce domaine, mais il apparait nécessaire de trouver un équilibre qui permettrait aux artistes humains de conserver une rémunération suffisante pour vivre de leur art et ne pas être noyé par les musiques peu créatives de l’IA générative.

Pour Chat GPT, les impacts de l’intégration de l’IA dans le secteur de la musique sont plus positifs que négatifs mais doivent être soigneusement encadrés par le législateur. Ainsi pour conclure, nous lui avons demandé de nous fournir ses propres recommandations, ce à quoi il a répondu : « face à ces enjeux, il est crucial d'établir un cadre légal adapté. Ce cadre doit protéger les droits des créateurs humains tout en évitant de freiner l'innovation. La musique, en tant que secteur particulièrement sensible et créatif, nécessite des régulations qui encouragent à la fois la diversité et l'originalité, tout en permettant l'exploitation responsable et éthique des technologies d'IA. En trouvant cet équilibre, nous pourrons maximiser les bénéfices de l'IA tout en minimisant ses risques, préservant ainsi l'essence artistique et humaine de la musique. »

 

Nos équipes se tiennent informées des évolutions à ce sujet et restent à votre disposition pour vous conseiller sur des problématiques liées au secteur de la musique, ou plus largement pour toutes questions liés à la protection de vos droits d’auteur.

 

Par Cloé SIGAL-GUILLE

 

 

[1] Pierrick Leurrent, 2024, “Etats-Unis : de Katy Perry à Stevie Wonder, plus de 200 artistes s’opposent à l’Intelligence artificielle qui “sape ou remplace l’art humain”, France Info.

[2] Luc Chagnon, 2023, “Google annonce une nouvelle IA pour créer des chansons avec les voix d’artistes connus sur YouTube”, France Info.

[3] Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte [Society for musical performing and mechanical reproduction rights]

[4] Rapport de la SACEM et de la GEMA, 2024, “AI and Music : Market development of an AI in the music sector and impact on music authors and creators in Germany and France”

[5] Communiqué de presse Parlement européen 2024, “Intelligence artificielle : les députés adoptent une législation historique”.

[6] Proposition de loi n°1630 visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur, 12 septembre 2023.

[7] Boriana Guimberteau et Magali Courroye, 2024, « Le parasitisme face à l’intelligence artificielle générative : un fondement pertinent ? », Lexis Nexis, Propriété industrielle n°3, étude 6.

[8] Article 1240 du Code civil.

[9] V.D, 2023, « Le musicien Ed Sheeran remporte un procès pour plagiat », Le Point.

[10] La directive européenne 2019/790 du 17 avril 2019 

[11] Article L.122-5-3 CPI « la mise en œuvre d’une technique d’analyse automatisée de textes et données sous forme numérique afin d’en dégager des informations, notamment des constantes, des tendances et des corrélations ».

[12] Andres Guademuz, 2017 “L’intelligence artificielle et le droit d’auteur”, OMPI Magazine.

[13] US District Court, Civil Action No. 22-1564, 18/08/2023

[14] Avis du bureau américain sur les droits d’auteur, mars 2023.

[15] Julia Guinamard, 2024 « IA générative : un cadre international à nouveau évoqué par le Japon », Siècle Digital.

[16] Propos de Macron concernant la nouvelle règlementation sur l’IA du Parlement européen.

[17] Communiqué de la Sacem 2024, « Intelligence artificielle – IA générative : quels impacts sur le secteur de la musique et la création ? – Veille », Lexis Nexis, La Semaine Juridique Edition Générale n°06, act 185.

[18] Boriana Guimberteau et Magali Courroye, 2024, « Le parasitisme face à l’intelligence artificielle générative : un fondement pertinent ? », Lexis Nexis, Propriété industrielle n°3, étude 6.

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