Par Jan BERTRAM

Le dépôt d’une enveloppe Soleau auprès de l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) figure bien souvent parmi les toutes premières actions entreprises par le créateur d’une idée originale, en vue de constituer une preuve de création simple et peu coûteuse. En matière de brevet, le dépôt d’un mémoire d’invention en tant qu’enveloppe Soleau, avant le dépôt subséquent d’une potentielle demande de brevet, fait partie d’une stratégie courante adoptée par de nombreux déposants. La simplicité de cette procédure (en particulier depuis la création de l’enveloppe e-Soleau, entièrement dématérialisée) ainsi que son faible coût (quinze euros de taxes pour un fichier de dix mégaoctets, pour une durée de conservation de cinq ans) expliquent en partie sa grande popularité.

 

Mais à quoi sert une enveloppe Soleau concrètement, et quels droits confère-t-elle ?

Tout d’abord, il convient de rappeler qu’une enveloppe Soleau ne confère aucun droit de propriété intellectuelle sur son contenu, contrairement à un brevet ou une marque par exemple. Autrement dit, une enveloppe Soleau n’est pas opposable à un tiers qui reproduirait son contenu, qu’il s’agisse par exemple d’une invention technique, d’une création esthétique ou d’une idée originale.

En revanche, l’enveloppe Soleau permet de faire valoir une antériorité personnelle en cas de litige, en raison de la date certaine et de la propriété qu’elle permet d’attribuer à son contenu.

En matière de brevet, une enveloppe Soleau peut constituer une preuve de possession personnelle antérieure sur le territoire français, permettant de se prémunir des conséquences d’une action en contrefaçon engagée sur la base d’un brevet déposé ultérieurement, dont l’objet est décrit dans l’enveloppe Soleau (selon les dispositions de l’article L613-7 CPI).

Il est également bon de rappeler que le droit de possession personnelle antérieure est incessible en tant que tel, et qu’il est attaché à son propriétaire, et ne peut être transmis qu’avec le fonds de commerce, ou l’entreprise ou partie d’entreprise à laquelle il est attaché.

En résumé, il convient de retenir que le droit de possession personnelle antérieure, pouvant par exemple être prouvé au moyen d’une enveloppe Soleau mais également par un constat d’huissier ou encore par un horodatage (tel que celui proposé par notre Cabinet, reposant sur l’inscription dans un registre infalsifiable de type Blockchain), est un droit défensif ne pouvant être opposé que dans des conditions très particulières et qui est limité territorialement.

Ce droit, prévu par le Code de la Propriété Intellectuelle, est applicable devant les juridictions françaises, qui étaient jusque récemment les seules compétentes pour juger les litiges fondés sur un brevet européen faisant effet en France (et, bien entendu, sur les brevets français).

 

Alors, qu’en est-il du droit de possession personnelle antérieure dans le cadre d’un litige jugé par la Juridiction Unifiée du Brevet, sur le fondement d’un brevet européen relevant de sa compétence ?

Il convient d’abord de rappeler que depuis le 1er juin 2023, une nouvelle juridiction, la Juridiction Unifiée du Brevet (dite JUB) a vu le jour avec la compétence de juger à terme de façon centralisée, pour 17 Etats membres de l’Union Européenne (à la date de rédaction de cet article, 8 autres Etats pouvant encore les rejoindre), l’ensemble des litiges fondés sur les brevets européens. Néanmoins, pendant une période transitoire courant au moins jusqu’en 2030, seuls les brevets européens à effet unitaire (délivrés également depuis le 1er juin 2023) et les brevets européens « classiques » n’ayant pas dérogés à la compétence de la JUB (c’est-à-dire n’ayant pas fait l’objet d’une requête d’« opt-out ») peuvent faire l’objet d’une action devant la JUB.

La JUB offre aux titulaires de brevet européens qui relèvent de sa compétence la possibilité d’engager une action en contrefaçon de façon centralisée envers les tiers, pour des actes de contrefaçon commis sur tout ou partie des 17 Etats membres de l’Accord relatif à la JUB.

Pour les tiers ayant constitué un droit de possession personnelle antérieure, par exemple par le dépôt d’une enveloppe-Soleau, se pose ainsi la question d’une opposabilité de ce droit devant le JUB afin d’échapper aux conséquences d’une contrefaçon présumée.

L’Accord relatif à la JUB prévoit en son article 28 une fiction de brevet national pour l’invention protégée par le brevet européen, sur la base de laquelle il doit être déterminé si son titulaire aurait eu le droit à un droit de possession personnelle antérieure. L’Accord renvoie ainsi au droit national de chacun des Etats membres à l’Accord.

Par conséquent, dans chaque Etat membre dans lequel une disposition de possession personnelle antérieure existe, comme c’est le cas en France par exemple par la détention d’une enveloppe Soleau, son propriétaire jouit d’un tel droit à l’égard du brevet européen qui lui est opposé.

Ce droit peut être invoqué notamment dans un mémoire en défense à une action en contrefaçon devant la JUB (prévu par la Règle 24 du Règlement de procédure de la JUB), voire dans un mémoire préventif en cas de soupçon d’action imminente en contrefaçon à son égard.

Ainsi, l’existence d’un droit de possession personnelle antérieure peut avoir pour effet de « morceler » un jugement de contrefaçon qui se veut en principe unitaire pour les 17 Etats membres, si ce droit permet d’échapper à la contrefaçon dans l’un de ces Etats. En pratique, si la contrefaçon dans au moins un autre Etat membre devait être retenue par les juges, il est probable que le jugement, et notamment la détermination des dommages-intérêts infligés au contrefacteur, ne tiendra simplement pas compte de la masse « contrefaisante » réalisée dans l’Etat où la possession personnelle antérieure a été reconnue.

 

Quelle stratégie adopter dans ce nouveau système ?

Comme nous venons de le voir ci-dessus, la constitution d’un droit de possession personnelle a toute sa place dans le système instauré par l’Accord relatif à la JUB, et constitue un moyen toujours aussi efficace de constituer une antériorité personnelle.

La territorialité de ce droit limite cependant sa portée dans le cadre d’actes commis sur de nombreux territoires, sauf à avoir constitué des droits multiples (par exemple en ayant accompli des formalités similaires en parallèle dans plusieurs Etats, justifiées par exemple par un établissement ou une activité dans ces Etats). Il convient toutefois de rappeler que ce constat était le même dans la situation antérieure au 1er juin 2023, où chaque juridiction nationale était compétente – et donc compétente pour juger d’une exception de possession personnelle antérieure sur son territoire, qui devait être constituée indépendamment sur chaque territoire.

Dans tous les cas, l’efficacité d’une preuve de possession personnelle antérieure, telle qu’une enveloppe Soleau en France, dépend principalement de la qualité de son contenu, qui doit à la fois identifier correctement son propriétaire (une société, mais également ses filiales éventuelles – le dépôt au nom d’une filiale ne confère pas nécessairement de droits à une autre filiale de la même société) et l’objet de l’invention. Sur ce dernier point, il convient de rappeler que la description vague et approximative de concepts ou d’idées réduit fortement la possibilité d’opposer efficacement le contenu de l’enveloppe Soleau dans le cadre d’un litige. Il convient ainsi de décrire de la façon la plus détaillée possible les moyens permettant de réaliser l’invention, et d’y joindre si possible des dessins, plans ou photos. 

Comme cela a été rappelé au tout début de cet article, en matière d’inventions techniques, seul le dépôt d’une demande de brevet permet de constituer des droits opposables aux tiers, et en même temps permet de constituer une antériorité « universelle » à l’égard de demandes de brevet tierces déposées subséquemment.

Nos experts se tiennent à votre disposition pour vous assister dans la constitution de vos droits, et notamment pour l’identification d’inventions brevetables parmi vos dépôts d’enveloppes Soleau ainsi que pour le dépôt de demandes de brevets en France et dans le monde entier.

Contactez nous
pour en savoir plus

Un numéro unique
0806 07 9292
Vous avez une question
Tous les bureaux