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« Dans l’intérêt de l’humanité tout entière »

 

Ce lundi 4 juillet, l’Agence Spatiale Européenne (‘ASE’ ou ‘ESA’) lancera officiellement les activités du nouveau Centre européen pour l’économie spatiale et le commerce (‘European Centre for Space Economy and Commerce’, ou ‘ECSECO’)[1]. Sur le modèle du Centre européen de droit spatial (‘ECSL’), l’ECSECO – qui devrait être piloté depuis Vienne, siège de l’Institut de politique spatiale – est destiné à constituer une plateforme d’échanges entre économistes, scientifiques, ingénieurs et juristes, issus tant du secteur privé que du secteur public ou académique, et intervenant dans les domaines de l’économie spatiale.

Ce Centre aura pour missions concrètes d’organiser des conférences, ateliers, rencontres, groupes de travail et travaux de recherche collaborative, offrant une plateforme pluridisciplinaire aux acteurs du secteur de l’industrie spatiale, sous égide de l’ESA[2].

Alors que les initiatives du secteur privé dans l’industrie spatiale se développent et que la France, par la main du Centre National d’Etudes Spatiales (‘CNES’), vient de signer les accords « Artemis » visant à encadrer l'exploration et l'exploitation de l'espace, en particulier l’exploration lunaire[3], les travaux de ce nouveau Centre permettront-ils de formuler des propositions visant notamment l’encadrement juridique des activités à portée commerciale survenant dans l’espace, en particulier pour ce qui concerne les droits de propriété intellectuelle ? (Etant bien entendu noté que la question, éminemment politique, dépasse amplement le simple cadre du débat juridique - le sous-comité juridique du Comité des Nations Unies dédié aux utilisations pacifiques de l’espace tentant par ailleurs de mener ses propres travaux[4].)

Bien entendu, la question de l’existence, de la protection ou de l’exploitation des droits de propriété intellectuelle nés au cours de travaux liés à l’activité spatiale, sur terre ou dans l’espace, a déjà été posée et évoquée tant dans les traités internationaux que la littérature juridique. Néanmoins, lorsqu’elle l’a été, c’est évidemment principalement du point de vue du droit des brevets. Les questions du droit d’auteur et du droit des marques ont pu être discutées, mais elles ne semblent pas tranchées pour autant.

 

Le corpus existant

Si de nombreux traités et accords sont intervenus depuis les débuts de l’exploration spatiale dans les années 50 et 60, peu contiennent des dispositions relatives à la propriété intellectuelle. Parmi les plus importants, les textes adoptés sous l’égide des Nations Unies, qui tracent les grandes lignes des principes applicables – en premier lieu desquels il est entendu que : 

  • l’exploration spatiale est effectuée dans l’intérêt de l’humanité tout entière,
  • l’exploration et la recherche scientifique sont libres, sur une base d’égalité entre tous les Etats,
  • mais l’espace, la Lune ou les corps célestes font partie du « patrimoine commun de l’humanité» et ne peuvent faire l’objet d’une appropriation nationale, par quelque moyen que ce soit[5].

La coopération internationale est donc de mise, comme en témoigne la signature, le 29 janvier 1998, de l’accord sur la coopération relative à la station spatiale internationale (‘ISS’) – conclu entre l’ESA, le Canada, les Etats-Unis, le Japon et la Russie[6]. Cet accord permet de régir les activités menées sur l’ISS et vraisemblablement pour la première fois, ce texte contient un article spécifiquement dédié à la propriété intellectuelle.     

L’article 21 de cet accord vient ainsi dicter que « pour l'application du droit en matière de propriété intellectuelle, et sous réserve des dispositions du présent article, une activité se déroulant dans ou sur un élément de vol de la Station spatiale est réputée n'avoir eu lieu que sur le territoire de l'Etat partenaire ayant immatriculé cet élément, à ceci près que, pour les éléments immatriculés par l'ASE, chaque Etat partenaire européen peut estimer que l'activité s'est déroulée dans les limites de son territoire. », étant entendu par ailleurs que pour « ce qui concerne les activités se déroulant dans ou sur un élément immatriculé par l'ASE, aucun Etat partenaire européen ne peut refuser de reconnaître une licence pour l'exercice d'un quelconque droit de propriété intellectuelle si la validité de cette licence est reconnue par la législation de l'un des Etats partenaires européens, et l'observation des clauses de cette licence exclut par ailleurs toute indemnisation pour une atteinte intervenant dans un Etat partenaire européen. » 

L’élément déterminant, s’agissant des inventions ou créations réalisées à bord de l’ISS, est donc l’immatriculation de l’élément de vol sur/dans lequel celle-ci est intervenu, laquelle permettra de déterminer le droit applicable et donc, les conditions de titularité, protection et exploitation. A noter, les plus récents « accords Artemis » prévoient que leur exécution pourra emporter conclusion d’autres protocoles et accords de mise en œuvre, notamment s’agissant des « autres dispositions nécessaires à la réalisation des activités de coopération, notamment celles liées à la responsabilité, à la propriété intellectuelle et au transfert de biens et de données techniques. »[7]

Ces grandes lignes, si elles sont nécessaires dans le cadre de coopérations internationales mettant en œuvre des activités de recherche scientifique et R&D, ne répondent néanmoins qu’au souci premier de l’exploration spatiale : encadrer la recherche scientifique, réguler les activités de défense et militaires, pour le bénéfice « de l’humanité tout entière ». D’autres textes, bien sûr, encadrent aussi l’exploitation de satellites. Cependant, la multiplication des acteurs privés, dont ce que l’on nomme communément le tourisme spatial ne constitue qu’une partie, laisse à penser que ce corpus juridique doit être complété, afin d’anticiper et encadrer ces futures opérations commerciales nouvelles - et ainsi aborder cet autre pan de la propriété intellectuelle que les traités n’ont pas spécifiquement abordé : le droit des marques.

 

Le corpus à définir

Selon les mots du Directeur du CNES, l’« écosystème spatial […] est en plein changement. […] On ne peut faire abstraction du bouillonnement qui existe actuellement en France et ailleurs dans le secteur spatial. Chaque semaine, de nouveaux entrepreneurs viennent taper à la porte du CNES »[8].  Dans ce contexte du « new space » – mouvement initié aux Etats-Unis avec la part grandissante de privatisation des programmes de la National Aeronautics and Space Administration (‘NASA’)[9] – pourra-t-on éluder, entre autres problématiques de droit international majeures, celle du droit des marques ?

Prenons, à titre d’exemple, le projet – aujourd’hui à l’arrêt – de la start-up américaine Orion Span Inc. qui avait annoncé, en 2018, travailler sur la réalisation d’une station spatiale privée destinée à être exploitée comme hôtel de luxe (et qu’elle comptait placer en orbite dès 2021.) Cet hôtel en orbite devait porter le nom d’ « AURORA STATION », et un dépôt de marque sur ce signe avait effectivement été effectué aux Etats-Unis[10] :

Si cette demande de marque est aujourd’hui abandonnée, son déposant ayant manqué de répondre à l’objection émise par l’office américain, néanmoins, la poursuite de son examen et son octroi auraient soulevé nombre de questions qui restent totalement ouvertes, parmi lesquelles :

  • les droits conférés par une marque enregistrée aux Etats-Unis, ou dans tout autre pays / juridiction du monde, peuvent-ils s’étendre à l’espace extra-atmosphérique alors même que l’un des premiers principe de tout droit de propriété intellectuelle est celui de sa territorialité ?
  • si ce devait être le cas : quelles antériorités seraient éventuellement opposables (uniquement les marques américaines ? toute autre marque / droit de tout autre juridiction ayant vocation à être utilisé(e) dans l’espace ? quelle serait la langue du public pertinent ?) et sur quels territoires des actes de reproduction ou imitation pourraient être constitutifs de contrefaçon ? Quelle(s) serai(en)t la ou les autorité(s) ou juridiction(s) compétente(s) pour en juger ?
  • l’USPTO aurait-il accepté à titre de spécimen d’usage des éléments relatifs à une exploitation réalisée dans l’espace extra-atmosphérique uniquement, et non – en soi – sur le territoire américain ? (étant noté que cette marque ne visait que l’hôtellerie spatiale et non le transport permettant d’accéder à la station privée et qu’une partie de l’objection émise par l’office visait la date de premier usage revendiquée par le déposant dans son dépôt, au motif que les éléments fournis à l’examinateur portaient sur une exploitation future et non un début d’exploitation déjà réalisée, alors que le dépôt aurait pu être effectué sur la base d’une intention d’usage)
  • outre l’obligation existant aux Etats-Unis, comme dans un certain nombre d’autres pays, d’attester de l’usage du signe protégé pour en maintenir la protection, quel serait, durant le vie de la marque, le territoire et le public pertinents pour prouver qu’elle a fait l’objet d’un usage sérieux ? Ou qu’elle a acquis une renommée ?

Si le projet d’Orion Span Inc. n’a (pour l’heure) pas vu le jour, notons que la société américaine Axiom Space a pu - pour la première fois et dans le cadre d’un partenariat conclu avec la NASA - envoyer un équipage de quatre personnes, entièrement privé, séjourner à bord de l’ISS durant une quinzaine de jours en mars/avril dernier[11]. Cette société détient un certain nombre de marques sur son nom, pour la plupart déposées et/ou enregistrées aux Etats-Unis mais également au Canada et divers pays du monde au moyen de marques internationales. Il en va de même pour SpaceX, Virgin Galactic ou Blue Origin (dont les marques couvrent cependant un spectre plus large de juridictions, notamment la Chine).

Et bien sûr, ces questions ne se limitent pas au secteur du tourisme spatial, elles se posent pour toutes les marques existantes ou à venir quelle que soit l’activité couverte, dès lors que se présente ce caractère d’extra-territorialité. Parmi de nombreux autres projets et pour n’en citer qu’un, la société luxembourgeoise nommée Manaa Electric travaille notamment sur la production de panneaux solaires qu’elle espère un jour fabriquer et poser sur le sol lunaire ; et qui pourraient peut-être dans le futur alimenter en énergie la base que la NASA pourrait implanter sur la Lune[12]. Une marque nationale peut-elle couvrir des activités menées sur la Lune ?

Parmi les pistes qui pourraient être étudiées, l’idée d’intégrer l’espace extra-atmosphérique au système de la marque internationale est souvent évoquée comme une première étape pour encadrer et uniformiser l’étape de la protection. On pourrait imaginer une gestion ad hoc d’un registre et ses titres par l’Office Mondial de la propriété intellectuelle (‘OMPI’), ou une extension propre à chaque désignation nationale pour couvrir les activités extra-atmosphériques.

Un traitement national au cas par cas n’est aussi pas à exclure, sur le modèle de ce qui peut déjà exister en matière de brevets, en France ou aux Etats-Unis. L’article L611-1 du Code de la propriété intellectuelle indique en effet expressément que relèvent des inventions brevetables auprès de l’INPI français les « inventions réalisées ou utilisées dans l'espace extra-atmosphérique y compris sur les corps célestes ou dans ou sur des objets spatiaux placés sous juridiction nationale […] ».

Et si les présents développements se sont concentrés sur le droit des marques, la question du droit d’auteur se poserait tout autant – dans un cadre différent, indubitablement, et qui pourrait peut-être emporter une adaptation ou extension du champ d’application de la Convention de Berne. Thomas Pesquet, que l’on ne présente plus, ou Samantha Cristoforetti, l’astronaute italienne de l’ESA actuellement à bord de l’ISS, sont-ils pleinement titulaires des droits sur les photographies qu’ils prennent depuis la station, et qu’ils diffusent sur les réseaux sociaux ? Quel territoire faudrait-il considérer pour déterminer le pays de première divulgation ?

Le voyage vers la résolution de ces questions – si tant est qu’il y soit effectivement répondu – sera long, à n’en pas douter. Mais en attendant, vous pouvez toujours envoyer votre nom sur Mars, grâce à la NASA qui vous propose de le faire voyager vers la planète rouge à bord d’une clé USB placée dans le futur module de sa prochaine mission[13].  

 

Nelly Olas est Conseil en Propriété Industrielle. Avant de rejoindre le cabinet Santarelli, elle a exercé en tant qu’avocate – après avoir été admise aux barreaux de Paris et de New York. Elle cumule près de 15 ans d’expérience, et est titulaire d’un D.E.A. en droit de la propriété littéraire, artistique et industrielle de l’Université Paris 2 Panthéon – Assas, ainsi que d’un LL.M. en Propriété Intellectuelle de l’université de droit de Cardozo, située à New York.

 

 

 

 

 

 

N.B. Le titre de l’article est emprunté au texte des traités et des principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies, cf. https://www.unoosa.org/pdf/publications/STSPACE11F.pdf. Référence est aussi faite, bien sûr, à la mention portée sur la plaque du module d’Apollo 11 qui s’est posé sur la lune en juillet 1969 : “Here Men From The Planet Earth First Set Foot Upon The Moon, July, 1969, AD. We Came In Peace For All Mankind"    

[1] Voir l’annonce de l’ESA du 25 mars 2022 : https://commercialisation.esa.int/2022/03/creation-of-the-european-centre-for-space-economy-and-commerce-ecseco/ ou la page LinkedIn dédiée https://www.linkedin.com/company/european-centre-for-space-economy-and-commerce/ 

[2] L’ESA compte aujourd’hui 22 Etats membres, à savoir l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, l'Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Suède, la République Tchèque et la Suisse ; ainsi qu’un certain nombre de pays partenaires via des accords de coopération. Elle est indépendante de l’Union Européenne, bien qu’il existe des accords-cadres entre ces deux organisations.

[3] Voir le communiqué du CNES du 7 juin 2022 : https://presse.cnes.fr/en/france-signs-artemis-accords-and-joins-international-space-exploration-programme

[4] Cf. notamment L’exploitation des ressources de la Lune au coeur de la nouvelle diplomatie américaine de Philippe Achilleas et Isabelle Sourbes Verger : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03513372/document  

[5] Principes édictés dans les traités et principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies, cf. https://www.unoosa.org/pdf/publications/STSPACE11F.pdf

[6] Accords publiés en France par le décret n° 2005-1498 du 29 novembre 2005 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000609592

[7] Texte des accords disponible sur le site de la NASA : https://www.nasa.gov/specials/artemis-accords/index.html, avec traductions dont une en français https://www.nasa.gov/specials/artemis-accords/img/Translated-Versions-of-the-Accords.pdf 

[8] Interview de Philippe Baptiste, directeur du CNES, parue dans Les Echos du 10 mai 2022 : https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/le-cnes-ne-peut-faire-abstraction-du-bouillonnement-du-new-space-1405860

[9] Cf. notamment Le New Space ou la privatisation des ambitions spatiales des États – Réflexions sur le droit de l’espace à l’heure de l’innovation entrepreneuriale de Philippe Achilleas : https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2016_num_62_1_5036

[10] Dépôt n° 90508393 effectué auprès de l’USPTO le 3 février 2021 par Orion Span Inc., en classe 43 pour des services de « space hotel for space tourism ». Le dépôt est aujourd’hui considéré comme abandonné après que le déposant ait manqué de répondre à l’objection émise par l’office.

[11] Cf. notamment https://blogs.nasa.gov/kennedy/2022/04/25/axiom-mission-1-crew-safely-splashes-down-near-florida/; https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/vols-habites-equipage-axiom-1-enfin-revenu-terre-87815/

[12] Cf. notamment le site de Manaa Electric https://www.maanaelectric.com/ et l’article Objectif Lune de Julien Winkel, paru dans la revue papier Society n° 183 du 23 juin 2022

[13] Inscription gratuite, directement sur le site de la NASA : https://mars.nasa.gov/participate/send-your-name/future. Les inscriptions pour le départ d’Artemis I, qui doit faire le tour de la Lune, et prévu dans quelques mois, sont malheureusement déjà closes ! https://www.nasa.gov/send-your-name-with-artemis/     

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